Mobilité urbaine des plus vulnérables : 5 minutes pour comprendre

Garantir la mobilité urbaine à tous est un enjeu majeur. De nombreuses personnes vulnérables à cause de leur condition physique, mentale, leur âge ou encore des barrières culturelles fortes ne peuvent pas se déplacer en autonomie. Les trottoirs que nous foulons tous les jours sans peine peuvent être sources d’angoisse et facteurs de repli sur soi pour les personnes les plus fragiles. 

A la lumière de l’enquête menée par le CEREMA, nous tâcherons de comprendre les comportements et les besoins des personnes fragiles dans leurs déplacements. Quelles sont les difficultés rencontrées ? Quelles sont les pistes à creuser pour améliorer leur expérience dans l’espace urbain ? Nous faisons le point dans cet article.

Rendre la ville “lisible” 

Paris -vue du cielSelon Kevin Lynch dans l’ouvrage L’image de la Cité (1960), la ville est rendue “lisible” grâce à cinq éléments structurants : les rues, les quartiers, les points de repères (points stratégiques visibles de loin), les limites (éléments linéaires contournables) et les noeuds (points de jonction et de concentration). Les piétons s’appuient donc sur ces formes physiques pour se repérer. Elles sont censées offrir à l’usager la possibilité de se créer une image mentale des lieux qu’il parcourt.

Quand la lisibilité fait défaut, l’appréhension prend les devants. Cette angoisse peut devenir une véritable source de stress qui paralyse les personnes les plus vulnérables. De sorte qu’elles renoncent à se déplacer et perdent en autonomie.

La perception de l’espace urbain varie d’un usager à l’autre selon ses capacités physiques et mentales, son expérience personnelle et sa culture. Ces filtres personnels incitent à tenir compte des capacités des usagers les plus divers. 

Priorité donc à la “lisibilité” de la ville pour améliorer le sentiment de sécurité des usagers.

Qui sont les personnes les plus fragiles ?

Les personnes handicapées

En France environ 12 millions de personnes sont handicapées. On regroupe les typologies de handicap sous six catégories principales :

Parmi elles, on retrouve des personnes porteuses de plusieurs handicaps de même degré comme la surdi-cécité (sourds-aveugles). Puis les personnes polyhandicapées qui sont porteuses d’un handicap grave à expressions multiples entraînant une restriction extrême de l’autonomie.

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Les personnes âgées

On compte aujourd’hui 15 millions de personnes âgées de plus de 60 ans. Elles seront 20 millions en 2030 et près de 24 millions en 2060. Les personnes âgées sont souvent atteintes de troubles de la marche, de troubles cognitifs et de troubles sensoriels.

Les étrangers

Les villes du monde entier ne se ressemblent pas et c’est tant mieux ! La culture est en effet au cœur du développement urbain. Certains touristes et surtout certains immigrés peuvent perdre leurs repères à cause d’une conception différente de la ville telle qu’ils la connaissent et de la méconnaissance de la langue. 

En effet, près de 100 000 touristes foulent chaque années le sol des villes françaises. A cela s’ajoute les 345 000 étudiants étrangers qui ont choisi la France pour faire leurs études en 2018 et les 5,9 millions d’immigrés recensés en 2014 (INED).

Autres facteurs

Tout le monde peut se sentir vulnérable, le temps d’un trajet. Distraction, fatigue passagère ou encore stress ponctuel sont autant de facteurs qui jouent sur les capacités physiques ou intellectuelles.

Les stratégies de déplacement des personnes fragiles

Le CEREMA a réalisé une vingtaine de parcours à pied commentés dans des environnements urbains auprès de personnes dites “fragiles”. L’objectif de cette étude est de mettre en évidence les difficultés que peuvent poser certains aménagements et les choix de déplacements des personnes les plus vulnérables pour résoudre ces difficultés.

La perception de l’espace public par les personnes handicapées

personne aveugle traversant la rueLes personnes déficientes visuelles font face à de nombreux défis technologiques et sociaux au quotidien. Mais c’est sans compter les difficultés environnementales, notamment dans leurs déplacements en ville. La conception de l’espace public est plutôt destinée et pensée pour personnes qui possèdent tous les sens. L’expérience de l’espace sans les yeux repose principalement sur le déchiffrement du paysage sonore et tactile, comme par exemple :

  • l’attention portée aux modifications du trottoir qui signalent un changement de zone
  • l’écoute du bruit des voitures pour apprécier la proximité de la rue
  • l’attention portée à la disposition des arbres pour connaître la position des bâtiments, etc.

Pour se déplacer en toute sécurité, les personnes déficientes visuelles font des choix de déplacement qui varient d’une personne à l’autre comme :

  • être accompagnée d’une personne
  • privilégier les rues à angles droits et avec peu de commerces ou de terrasses pour éviter les obstacles et la foule
  • longer les murs pour traverser les grands espaces,
  • suivre les indications du GPS en choisissant le chemin le plus court ou celui qui comporte le moins de virages

Les personnes sourdes, porteuses d’un handicap invisible, rencontrent aussi des difficultés à déchiffrer leur environnement. Une étude menée par la gare de Lyon à Paris montre que parmi les usagers présentant tous types de handicaps, ce sont les personnes présentant des problèmes d’audition qui ont le plus de difficulté à réaliser un parcours. Ce résultat peut s’expliquer “par l’invisibilité naturelle de la déficience auditive qui ne génère pas d’assistance spontanée de la part du public ou du personnel (…) mais aussi par la réticence des principaux intéressés à annoncer leur déficience”, indique l’étude.

Pour déchiffrer leur environnement, les personnes sourdes privilégient les ambiances visuelles, les indices kinesthésiques ou olfactifs et les ruptures d’ambiance ou de certains mobiliers urbains. Elles s’appuient principalement sur les inscriptions écrites, les odeurs caractéristiques et les points de rupture.

En termes de choix de déplacement, l’étude du CEREMA montre que les personnes sourdes évitent en général de s’approcher de zones jugées dangereuses comme des plans d’eau.

Quant aux personnes à mobilité réduite, elles empruntent en priorité un parcours adapté à leur condition physique. Les personnes qui se déplacent en fauteuil roulant ont besoin d’alternatives aux escaliers, aux marches et aux pentes supérieures à 12%. Dans l’un et l’autre cas, les personnes prennent soin de préparer leur déplacement en amont.

Pour les personnes handicapées mentales, cognitives et psychiques la compréhension de l’espace urbain est souvent altérée par l’inquiétude et le stress de l’inconnu. Les situations de handicap peuvent être aggravées lorsque la logique de l’organisation de l’espace n’est pas explicitée. Dans ce cas, la personne a tendance à renoncer à se déplacer. Les choix de déplacements se concentrent sur des trajets connus, proches du domicile et qui ne laissent pas de place à l’imprévu. 

L’espace public pour les personnes âgées

Les personnes âgées peuvent aussi être porteuses d’un handicap sensoriel, physique ou moteur, voire plusieurs à la fois. Elles sont sujettes au stress, à la fatigue, à la perte de mémoire. Il peut leur être difficile de lire les panneaux ou les cartes en raison de troubles de la vision.

D’après une enquête sur la mobilité des Personnes à Mobilité Réduite et en situation de handicap réalisée en mars 2016 par l’OMNIL, le motif de déplacement principal des personnes âgées de plus de 60 ans est le trajet domicile-achat.

Les personnes âgées concentrent donc leurs déplacements pour faire leurs courses, près de chez elles. Elles vont prendre leur temps, s’asseoir sur des bancs publics pour se reposer, sortir en dehors de période d’influence…

Le cas des étrangers

Pour certains étrangers, la cité qu’ils découvrent ne possède peut-être pas les codes architecturaux qu’ils connaissent. De plus la méconnaissance de la langue est un frein pour déchiffrer les panneaux et de demander son chemin. Les touristes peuvent avoir une certaine connaissance préalable de la ville mais ils la découvrent au fur et à mesure de leur exploration.

Les stratégies de déplacement privilégiées sont le suivi du GPS ou d’une carte (ce qui dévie l’attention portée à l’environnement et peut causer des accidents) et la demande d’aide aux passants.

 

Quelles pistes pour améliorer la mobilité urbaine des personnes fragiles ?

Faciliter l’accès à la ville par tous passe par la conception d’espaces urbains plus ergonomiques. Les urbanistes et les décideurs publics doivent prendre en considération les difficultés de mobilité de l’ensemble de la population et installer des repères pour faciliter leur orientation et leurs choix de déplacements.

Voici quelques pistes pour améliorer la mobilité urbaine de tous :

  • Mettre à disposition des outils de type GPS dédiés aux personnes handicapées afin de pouvoir calculer un itinéraire en fonction d’un handicap
  • Concevoir une signalétique claire et visible par tous afin d’éviter la mise en danger par la recherche d’indices
  • Installer des balises sonores dans des endroits-clés de la ville et des réseaux de transports afin d’aider les personnes déficientes visuelles à localiser un lieu et obtenir des informations pratiques sur celui-ci
  • Sécuriser les traversées piétonnes pour les personnes déficientes visuelles en installant des feux sonores
  • Eviter la création d’obstacles sur les axes de déplacements principaux qui sont les cheminements de référence pour les usagers les plus fragiles
  • Consulter les usagers et les experts pour faire remonter les besoins et proposer des solutions adéquates
  • Mettre à disposition et entretenir les équipements d’accessibilité et le mobilier urbain notamment les bancs pour se reposer et favoriser le lien social
  • Délimiter les changements d’espaces par des indices visuels ou tactiles clairs
  • Limiter les espaces à une fonction propre afin de favoriser la lisibilité
  • Miser sur la qualité des ambiances des espaces publics pour les rendre rassurants et accueillants

Nous sommes tous des piétons vulnérables. Touriste, expatrié, porteur d’un handicap permanent, temporaire, sujet à la fatigue de l’âge ou d’une journée chargée. Cette fragilité, quelle qu’en soit la nature, induit une perte d’autonomie et de sérénité dans nos déplacements.

Une ville plus lisible est une ville qui accueille plus de visiteurs, qui dynamise son économie et qui prend en compte les choix de déplacements de l’ensemble de la population. Concevoir la ville au bénéfice des plus vulnérables, c’est garantir un confort et une sécurité pour tous. Alors consultez les usagers et interrogez-les sur les points à améliorer dans votre ville. A vous de jouer !

Pour aller plus loin, découvrez notre dernier article sur l’accessibilité de l’information voyageur dans les transports publics.

Publié le 15 juillet 2019

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Lise

Créer une culture commune entre tous les acteurs engagés pour rendre la ville et ses services accessibles à toutes les personnes qui vivent avec un handicap, c’est ce qui m’anime au quotidien !