« Ma plus grande galère, c’est le trottoir de ma rue » – Interview de Mathias Polin, utilisateur de fauteuil roulant

« Ma plus grande galère, c’est le trottoir de ma rue » –  Interview de Mathias Polin, utilisateur de fauteuil roulant

Nous avons rencontré Mathias Polin à l’occasion des tests usagers menés en octobre sur la signalétique inclusive pour la SOLIDEO (Société de Livraison des Ouvrages Olympiques) avec le groupement OMNISENS. Mathias se déplace en fauteuil roulant depuis fin 2019 à la suite d’un accident. Après nous avoir livré ses premières impressions sur la signalétique inclusive, il nous parle de son quotidien en fauteuil roulant. On n’imagine pas à quel point ce qui est anodin pour certains peut devenir infranchissable pour d’autres, ou à l’inverse, comment la vie de milliers de personnes peut être facilitée par un tout petit geste. En accessibilité comme ailleurs, le diable est dans les détails. 

Bonjour Mathias, quelles sont tes impressions sur la signalétique multisensorielle inclusive présentée pour l’accessibilité du Village des athlètes ? 

Portrait de Mathias Polin, utilisateur de fauteuil roulant qui fait un grand sourireJ’ai fait le parcours qui mène à l’entrée du Village des athlètes. J’ai donc pu tester plusieurs signalétiques. On a commencé par le balisage au sol. Il y a des bandes d’interception pour les malvoyants et non-voyants. Tout le système au sol est très intéressant dans le sens où ça permet d’attirer tactilement les malvoyants. En revanche, je pense qu’il y aura des choses à modifier en termes d’orientation et de positionnement du dispositif. Il y a certains moments où ça pourrait être dangereux. Le positionnement pourrait créer un risque de glisser dessus. Ensuite, sur un des carrefours, on a remarqué aussi que le dispositif était un peu trop proche de la route et dans une pente. Ça pourrait être gênant pour les personnes qui voudraient remonter en fauteuil. Elles risquent de glisser et de redescendre. Il faudrait donc le décaler un petit peu. 

J’ai pu voir qu’il y avait deux sens de bandes d’interception. A mon sens, les deux devraient être combinés. Il y a des bandes dans le sens de la marche et d’autres perpendiculaires au sens de la marche. Combiner les deux permettraient de bien donner l’information. Les bandes perpendiculaires au sens de la marche pourraient aussi avoir une fonction de freins pour les fauteuils roulants dans le sens de la pente.

Ensuite, j’ai pu tester un dispositif sonore. Il y a des haut-parleurs implantés un peu partout sur le chemin, qui situent l’endroit où on se trouve et qui peuvent donner des informations intéressantes, comme la couleur du bonhomme piéton pour traverser. Si on a un feu, ça peut également donner la position. 

Il y a des panneaux interactifs également. En appuyant sur des boutons, on a les différentes positions, les différents axes des bâtiments qu’on peut croiser. Ça permet donc de bien se situer, comprendre où on va et où on est. 

Qu’est-ce qui t’a donné envie de participer à ces tests ?

Je suis dans le handicap depuis un peu moins de trois ans. J’ai eu mon accident fin 2019. Et parmi mes projets professionnels, j’ai à cœur de sensibiliser les gens au handicap et de leur montrer un peu ce qu’est ma vie. Mon projet, c’est de mettre quelqu’un dans un fauteuil et de l’emmener partout avec moi pour lui montrer ce que c’est de vivre en fauteuil, et donc justement tester des équipements et des dispositifs faits pour aider les personnes en situation de handicap. C’est complètement cohérent avec mon projet professionnel, ce que j’ai envie de faire et d’apporter à la société. 

Ce genre d’essais, ça permet de voir les choses avec un autre angle de vue. Justement, de voir le côté conception et installation, je trouve ça très intéressant et je suis content de participer à ça. 

Comme je suis dans un type de handicap, j’ai une vision qui concerne mon handicap. Mais je suis amené à fréquenter des gens qui ont un handicap différent du mien, et de ce fait, j’ai connaissance des expériences des autres. Par exemple, j’ai pu faire des remarques sur les dispositifs concernant les malvoyants et non-voyants alors que je vois parfaitement. Quand on est dans le handicap, on a une vision qui est forcément différente des personnes valides. 

J’invite toutes les personnes qui ont des handicaps ou des problèmes physiques, n’importe lesquels, à s’intéresser à ce genre de tests. Parce que c’est justement là où on peut trouver des solutions pertinentes pour tout le monde. C’est justement grâce aux différents handicaps qui viennent essayer ce genre de dispositifs. Ça permet aussi de peaufiner des petits détails qui font une vraie différence.

C’est quoi ta plus grande galère pour te déplacer en fauteuil roulant ?

Ma plus grande galère, c’est le trottoir de ma rue. Il est vraiment très incliné. En plus, l’autre trottoir est fermé par des travaux depuis des mois. Alors quand je me déplace dans ma rue, c’est au milieu de la route puisque c’est l’endroit le plus plat. Souvent, je n’ai qu’un seul bras qui travaille et je me fais des tendinites, au poignet, à l’épaule. Quand il pleut aussi, j’évite de sortir. Mais si j’avais déjà une rue plate, la pluie serait moins un problème. 

Quand tu souhaites te rendre dans un établissement que tu ne connais pas, comment tu t’y prépares ?

Mon premier réflexe, c’est d’aller vérifier sur Google l’accessibilité en fauteuil roulant. Mais l’info n’est pas toujours disponible. Du coup, j’appelle le numéro de téléphone.

Dans 80% des cas, le « accessible » pour mon interlocuteur n’est pas vraiment accessible. Je vérifie donc sur Google Street View à quoi ressemble l’entrée du bâtiment. Par exemple, alors que je recherchais un appartement avec ma femme, le propriétaire nous avait certifié que le logement était accessible. En regardant sur Street View, j’ai vu une porte en ferraille qui avait l’air bien lourde et une grosse marche. C’était clair que ce n’était même pas la peine de nous déplacer.

Dans 99% des cas, j’arrive à obtenir l’info sur l’accessibilité avant de me déplacer. Si je n’ai pas l’info, ça veut dire en général que ce n’est pas accessible et donc je n’y vais pas.

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Si l’établissement est conforme à la réglementation accessibilité, est-ce que cela signifie qu’il est bien accessible pour toi ?

La réglementation accessibilité n’est pas assez poussée pour qu’on puisse la prendre comme référence. Plus précisément, le plus gros problème n’est pas la réglementation elle-même mais le respect de cette réglementation. Dans une vieille ville comme Paris, c’est très difficile à mettre en place.

Dans tous les cas, la réglementation ne doit pas être une fin en soi. Il faut aller plus loin. Aujourd’hui, elle vise une globalité, une personne handicapée qui n’a pas trop de spécificités. Il faudrait qu’elle soit plus large sur les objectifs et permette d’aller plus loin dans les solutions adaptées à chaque handicap.

Au bout de ma rue par exemple, il y a un bar avec une rampe. Mais la porte s’ouvre sur l’extérieur. Si je monte la rampe en fauteuil, je suis obligé de la redescendre pour ouvrir la porte. Pas franchement pratique… Le propriétaire considère qu’il est accessible parce qu’il a une rampe mais ce n’est pas le cas.

Que signifierait pour toi une bonne qualité d’usage ? Qu’est-ce qui peut améliorer ton expérience quand tu te rends dans un établissement recevant du public ?

Une bonne qualité d’usage signifierait que je peux rentrer dans un établissement et faire tout ce que j’ai à y faire sans avoir à demander l’aide de quelqu’un.

Un bon exemple, ce sont les supermarchés. J’ai 3 enseignes proches de chez moi et je peux y aller sans aide. Tout est au même niveau, sauf pour une enseigne où il y a un escalier mais qui est doublé d’un ascenseur. Pour attraper les produits en hauteur, soit je me hisse sur mon accoudoir, soit je demande aux gens autour. Il y a toujours un employé du magasin qui veille sur moi de loin pour venir m’aider en cas de besoin. Même chose en caisse où les employés m’aident toujours à poser mon sac sur le tapis roulant pour le remplir. Il y a bien une intervention humaine mais sans que j’aie besoin de la demander et sans qu’on me l’impose. C’est très spontané.

Tous les endroits ne sont pas parfaitement accessibles. Mais l’attention du personnel à ce qui se passe dans son établissement fait vraiment la différence. C’est important de réfléchir à des solutions alternatives à la réglementation et s’adapter à l’activité de l’établissement et aux différentes personnes.

Autre exemple, j’ai un bar en bas de chez moi. Ils ont fait l’acquisition d’une rampe amovible. Personnellement, je préfère qu’on m’aide à monter la marche avec mon fauteuil. Comme j’y vais assez souvent, ça prend moins de temps et j’ai un fauteuil qui me le permet. Mais je suis sûr que si je demandais la rampe, on me la mettrait sans problème. C’est mon choix. Une autre personne, par exemple avec un fauteuil électrique, fera plutôt le choix de la rampe.

Un des points les plus importants pour l’accessibilité, c’est à mon avis d’avoir un personnel attentif. Ce qui me pose problème, ce n’est pas qu’un établissement ne soit pas accessible, c’est qu’on laisse la personne en situation de handicap seule face à ses difficultés.

As-tu déjà rencontré des erreurs quant aux équipements d’accessibilité mis en place ?

Le cas du bar avec la rampe et la porte qui s’ouvre vers l’extérieur, c’est un bon exemple de loupé. Un autre exemple, on loue souvent des maisons avec des amis pour les vacances d’été. Une fois, c’était une maison avec des marches à l’entrée. Mais la propriétaire nous avait prévenus qu’elle avait mis une rampe. Une fois sur place, ce n’était pas une rampe mais une simple porte en bois. Même mon ami qui est un petit gabarit l’a fait plier en marchant dessus. Moi je ne risquais pas de monter en fauteuil… Même les pentes qui sont réglementaires me posent parfois problème. Je suis obligé de les monter en marche arrière pour ne pas basculer.

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Tu aimerais dire quoi aux gestionnaires d’établissements pour aller au-delà de la norme et sur la qualité d’usage ?

J’ai un truc hyper important à leur dire : réfléchissez à ce qui est utile à VOTRE établissement. Chaque établissement est différent. Il faut poser des questions à vos clients habituels, aux personnes en situation de handicap, avant de faire les travaux. Nous, en tant qu’handis, on sait ce qui est utile ou pas. Parfois avec seulement 200 ou 300€, ça pourrait tout changer, changer la vie de milliers et de milliers de personnes. J’aimerais pouvoir en faire plus, aller à la rencontre des gens pour leur expliquer ce qui ne va pas. La conjoncture actuelle fait qu’ils n’ont pas toujours beaucoup de moyens. Mais en réfléchissant bien avant travaux, l’accessibilité ne coûte pas forcément très cher. C’est un investissement comme les autres et ça peut ramener beaucoup de nouveaux clients. Il faut y penser au moment de la création de son entreprise. 

 

Un dernier mot pour nos lecteurs ?

J’ai envie de vous parler de la marque de trottinette électrique Omni qui permet de faire de la trottinette en fauteuil roulant. La fondatrice Charlotte fait des petites vidéos de sensibilisation très sympas, par exemple sur l’attitude à adopter quand on veut aider une personne en fauteuil. Les gens ont parfois tendance à imposer leur aide sans se soucier de savoir quels sont les besoins réels de la personne. Il y a beaucoup de gens qui poussent le fauteuil sans prévenir. C’est comme les gens qui te souhaitent « bon courage » parce que tu es handicapé. Encore pire, on m’a déjà souhaité « bon rétablissement » sans savoir si ma situation était temporaire ou définitive. J’aimerais mieux qu’on me souhaite « bonne journée » ou « bon appétit » selon les circonstances !

Retrouvez les vidéos de Charlotte sur Facebook et Instagram.

Découvrez-en plus sur les solutions de signalétique multisensorielle inclusive qui vont équiper le Village des athlètes :

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Publié le 7 décembre 2022

Lise

Créer une culture commune entre tous les acteurs engagés pour rendre la ville et ses services accessibles à toutes les personnes qui vivent avec un handicap, c’est ce qui m’anime au quotidien !