Zones de rencontre : pour que ces espaces partagés soient partagés par tous !

Zones de rencontre, espaces partagés, rues apaisées, tous ces aménagements ont le vent en poupe depuis une quinzaine d’années. En supprimant le traditionnel découpage entre trottoir et chaussée, ils entraînent un recul de la domination automobile, un bon moyen d’améliorer la sécurité, la qualité de vie et l’attractivité des centres-villes ! Du moins sur le papier. En réalité, l’expérience montre que les usagers les plus vulnérables ne s’y retrouvent pas toujours. On compte parmi eux les séniors et les personnes aveugles ou malvoyantes. Le partage de la rue avec les vélos et véhicules motorisés renforce le sentiment d’insécurité lors de leurs déplacements. 

Comment concilier partage de la voirie et confort d’utilisation pour tous ? Comment faire pour que les zones de rencontre ne deviennent pas des zones interdites aux piétons les plus fragiles ? Nous vous livrons dans cet article une série de recommandations issues de l’expérience internationale pour que la voirie partagée soit vraiment partagée par tous.

Une zone de rencontre, qu’est-ce que c’est ?

Selon l’article R110-2 du code de la route, une zone de rencontre est une « section ou ensemble de sections de voies en agglomération constituant une zone affectée à la circulation de tous les usagers. Dans cette zone, les piétons sont autorisés à circuler sur la chaussée sans y stationner et bénéficient de la priorité sur les véhicules. La vitesse des véhicules y est limitée à 20 km/h. Toutes les chaussées sont à double sens pour les cyclistes, sauf dispositions différentes prises par l’autorité investie du pouvoir de police. Les entrées et sorties de cette zone sont annoncées par une signalisation et l’ensemble de la zone est aménagé de façon cohérente avec la limitation de vitesse applicable. »

Dans une zone de rencontre, les piétons, cyclistes et véhicules motorisés se côtoient dans un même espace. La zone de rencontre est une émanation de la démarche du code de la rue, qui instaure le principe de vigilance des usagers les moins vulnérables envers les plus vulnérables. Autrement dit, un enfant, un piéton âgé ou handicapé devraient bénéficier de la vigilance de tous les autres usagers pour pouvoir se déplacer en sécurité. Viennent ensuite sur l’« échelle de vulnérabilité » les piétons valides, les cyclistes et autres modes actifs, les deux-roues motorisés, les véhicules automobiles et les poids-lourds.

La conception d’une zone de rencontre vise à réduire la vitesse de circulation et augmenter la vigilance des conducteurs. Ainsi, la délimitation entre trottoir et chaussée est supprimée, une signalisation spécifique est mise en place et des aménagements peuvent être réalisés pour réduire la vitesse des véhicules. 

Dans certaines agglomérations, il arrive que des zones 30 ou aires piétonnes présentent un fonctionnement similaire aux zones de rencontre. Les recommandations que nous allons aborder valent pour toutes les catégories d’espaces partagés, quelle que soit leur classification officielle.

Une zone de rencontre à la tombée du jour avec des cyclistes et des piétons

Les avantages d’une zone de rencontre

La transformation des centres-villes en zones de rencontre ou zones de circulation apaisée présente de nombreux avantages.

La sécurité des piétons 

Créer des zones de rencontre a pour objectif d’accorder plus d’espace aux piétons, cyclistes et autres modes actifs, tout en améliorant leur sécurité.

La flexibilité de l’espace

Comparée à une rue traditionnelle, une zone de rencontre offre plus de flexibilité. Elle peut être facilement convertie en aire piétonne lors de l’organisation de marchés, festivals ou autres événements. Le reste du temps, elle permet l’accès des véhicules motorisés même si elle ne leur donne pas la priorité.

L’amélioration de l’accessibilité et du développement économique

Lorsqu’une rue est trop étroite pour aménager des trottoirs confortables et conformes aux normes d’accessibilité PMR, la convertir en zone de rencontre permet de gagner de l’espace. C’est également un bon moyen de faciliter l’accès aux commerces et services pour les personnes à mobilité réduite ou utilisant une poussette. Si la zone de rencontre est bien conçue, elle a toutes les chances d’attirer beaucoup de monde et d’avoir un impact positif sur le développement économique. 

Les recommandations que nous vous livrons dans cet article ont justement pour vocation de vous aider à concevoir des zones de rencontre sûres et accueillantes pour tous, afin de pouvoir en retirer tous les bénéfices attendus.

Comment éviter de créer des zones interdites aux usagers les plus vulnérables ?

Le concept de zone de rencontre a initialement été créé sur la base des capacités « normales » de l’être humain. Or, en termes de capacités humaines, nous savons bien que la norme n’existe pas et certaines personnes sont incontestablement privées de facultés essentielles. Déjà vulnérables, elles se trouvent davantage exposées à un contact rapproché avec les véhicules motorisés du fait de la suppression des barrières physiques. Sont concernés au premier chef les personnes aveugles ou malvoyantes et les séniors. L’absence de repères détectables comme les bordures de trottoirs engendre pour eux des difficultés d’orientation et un sentiment d’insécurité. Par ailleurs, la gestion des priorités dans les zones de rencontre s’opère essentiellement grâce au contact visuel, bien évidemment impossible en cas de cécité ou de malvoyance. Même chose d’ailleurs pour les « smombies », les accros du smartphone qui ne lèvent jamais le nez de leur écran, même si, dans leur cas, c’est volontaire.

Dans une rue traditionnelle, les personnes déficientes visuelles s’appuient avant tout sur la ligne des façades et la bordure de trottoir pour conserver leur trajectoire. Elles repèrent l’emplacement des passages piétons grâce au bruit des flux de circulation et apprennent à analyser les carrefours pour traverser au bon moment. Les bandes podotactiles d’éveil de vigilance les alertent dès qu’elles s’apprêtent à passer sur la chaussée. Les feux sonores associés aux figurines « piéton » sont également très utiles pour repérer les passages piétons et traverser en sécurité. Dans un environnement où les flux de circulation ne sont pas régulés, tous ces repères disparaissent. Les zones de rencontre sont aussi beaucoup empruntées par des véhicules silencieux comme les vélos ou les trottinettes électriques.

Le guide complet des feux sonores et leur réglementation décryptée ! Je les télécharge !

Les séniors sont également confrontés à des difficultés semblables. La promiscuité avec les véhicules motorisés, les vélos et les trottinettes crée un sentiment d’insécurité. En effet, les déficiences sensorielles et cognitives liées à l’âge compliquent l’évaluation des risques. De nombreuses personnes âgées affirment éviter les zones de rencontre par peur d’un accident. 

Le fait que ces usagers vulnérables évitent les zones de rencontre remet d’ailleurs en question les données d’accidentologie. Comment affirmer que ces aménagements sont moins accidentogènes si une partie de la population les fuient ?

Quelles règles de conception pour un espace vraiment partagé par tous ?

Les règles de conception d’une zone de rencontre visent à induire naturellement une réduction de la vitesse. La suppression des panneaux, des bordures de trottoirs et des marquages routiers délimitant les espaces a pour objectif de casser l’illusion de sécurité chez les conducteurs, d’augmenter leur vigilance et de les inciter à ralentir. Mais l’expérience montre qu’il ne suffit pas de supprimer des panneaux pour que les comportements changent du jour au lendemain. 

Afficher la priorité aux piétons

La première mesure à prendre lors de la conception d’une zone de rencontre est de rendre visible son fonctionnement et de ne laisser aucune ambiguïté sur le régime de priorité. Ceci passe par l’installation de panneaux « zone de rencontre » à chacun des accès de cet espace partagé, mais aussi aux intersections de manière à rappeler aux conducteurs la priorité aux piétons. 

Les aménagements présents dans une zone de rencontre doivent également inciter les piétons à s’approprier l’espace et les conducteurs à ne pas se sentir chez eux. On compte parmi eux :

  • La création de chicanes, ruptures d’alignement ou passages surélevés pour casser la vitesse,
  • L’installation de sièges et de bancs,
  • La végétalisation avec la plantation d’arbres, l’installation de jardinières et de carrés potagers,
  • L’éclairage qui doit être homogène sur toute la zone.

Créer une zone de confort pour les piétons

Le concept de « zone de confort » pour les piétons a d’abord été introduit en Angleterre puis aux Etats-Unis. Il est décrit dans le guide de bonnes pratiques publié en 2017 par l’administration fédérale des routes aux Etats-Unis (FHWA). Il s’agit de réserver une bande de circulation le long des bâtiments, libre de tout obstacle. Les piétons doivent pouvoir s’y déplacer sans risque de conflit avec d’autres typologies d’usagers. Le guide recommande de prévoir une bande entre les façades et la zone de confort pour permettre l’installation des enseignes et devantures des commerçants sans que ceux-ci n’empiètent pas sur le cheminement. 

Toujours pour préserver la zone de confort, les supports d’éclairage, les panneaux de signalisation, le mobilier urbain et les terrasses des cafés devraient être regroupés sur une « zone d’exploitation » située entre la zone de confort et la zone partagée avec les véhicules au centre de la rue. La zone de confort doit avoir une largeur d’au moins 2 mètres de manière à permettre la progression de deux piétons côte à côte tout en croisant un piéton dans la direction opposée.

Prévoir des repères tactiles au sol et un contraste visuel

Il serait bien sûr contreproductif de recréer les délimitations que l’on retrouve dans les rues traditionnelles. Cependant, il est indispensable que les personnes aveugles ou malvoyantes puissent se repérer et se déplacer en sécurité. Elles doivent alors retrouver deux types de dispositifs podotactiles : l’éveil de vigilance et le guidage.

Un dispositif podotactile d’éveil de vigilance doit être installé à chaque extrémité de la zone de rencontre et chaque fois que celle-ci croise une zone où les véhicules sont prioritaires. 

Un dispositif podotactile de guidage doit être installé le long de la zone de confort de manière que les personnes déficientes visuelles puissent s’y déplacer sans rencontrer d’obstacles. Si la largeur de la zone de confort est supérieure à 3 mètres, il est préférable d’installer le dispositif de guidage au milieu de celle-ci. Si sa largeur est inférieure à 3 mètres, mieux vaut le placer du côté des façades tout en ménageant un espace pour les panneaux et devantures des commerçants.

Une bande de guidage conforme à la norme NF P98-352 répond très bien au besoin d’orientation des personnes déficientes visuelles. Mais dans le cadre d’un aménagement neuf, il serait dommage de ne pas en profiter pour intégrer le dispositif de guidage dans la conception architecturale. Ce dispositif doit être contrasté visuellement et tactilement. Il doit pouvoir être détecté au pied et à l’aide d’une canne blanche. Il est indispensable d’organiser une concertation rassemblant un maximum d’usagers de profils différents pour choisir le meilleur dispositif. Il est malheureusement fréquent que des traitements de surfaces théoriquement utilisés pour apporter du contraste tactile et visuel soient totalement imperceptibles par les principaux intéressés.

Les pieds d'un piéton se trouvent sur la bande de guidage

Installer des signaux sonores

La suppression dans les zones de rencontre des feux de signalisation et de leurs répétiteurs sonores associés prive les personnes aveugles ou malvoyantes de précieux repères. Il est donc important de les rétablir par l’installation de balises sonores. Activables à distance grâce à la télécommande normalisée NF S-32-002 et l’application smartphone MyMoveo, les balises sonores présentent l’avantage de fournir des informations utiles aux piétons déficients visuels sans pour autant dénaturer la conception architecturale de l’espace partagé. Les balises sonores peuvent être fixées aux mâts d’éclairage public ou sur les façades des bâtiments.

Nous vous recommandons d’installer des balises sonores :

  • Au niveau des entrées et sorties de la zone de rencontre pour informer les piétons déficients visuels qu’ils pénètrent dans un espace partagé, 
  • Au niveau des intersections de manière à leur faciliter la traversée des rues,
  • A chaque fois qu’un point d’intérêt essentiel est présent.

Les messages sonores diffusés par les balises doivent informer les piétons aveugles ou malvoyants qu’ils se trouvent sur une zone de rencontre et fournir des indications sur son fonctionnement et la présence de repères podotactiles.

Une balise sonore blanche placée à l'entrée des locaux d'Okeenea

Ne faites pas l’impasse sur la concertation !

Les zones de rencontre ou rues apaisées sont des aménagements relativement récents dans l’histoire de l’urbanisme. Nous manquons encore de recul sur l’appropriation de ces espaces partagés par l’ensemble des typologies d’usagers. C’est la raison pour laquelle l’étape de la concertation est incontournable. Cette concertation doit impliquer les profils les plus variés :

  • Représentants des piétons,
  • Représentants des cyclistes,
  • Personnes âgées,
  • Piétons à mobilité réduite (utilisateurs de fauteuil roulant ou autres aides à la mobilité : cannes, déambulateur…),
  • Personnes aveugles ou malvoyantes et instructeurs en locomotion,
  • Personnes avec un handicap auditif, psychique, mental ou cognitif,
  • Personnel de maintenance et d’exploitation de la voirie, des espaces verts et du mobilier urbain.

Les principales parties prenantes doivent être impliquées à chaque étape du processus de planification et de conception, de l’évaluation des besoins à la conception finale.

Il faudra veiller à assurer l’accessibilité de toutes les étapes de la concertation. Pensez à prévoir :

  • Des locaux de réunion accessibles aux personnes à mobilité réduite,
  • Un service d’accompagnement pour les personnes nécessitant une aide à l’orientation,
  • Des documents de présentation en gros caractères, en audio, en braille ou au format numérique accessible (en fonction des besoins des participants),
  • Des interprètes en langue des signes (LSF),
  • Une boucle à induction magnétique ou autre système d’amplification pour les personnes malentendantes appareillées (en fonction des besoins des participants),
  • Des plans contrastés et maquettes 3D pour faciliter la représentation des personnes déficientes visuelles,
  • Un jeu de construction (Lego ou autre) pour permettre aux participants de se représenter et manipuler les éléments constitutifs de l’aménagement…

Cette liste n’est pas exhaustive. Pensez bien à interroger les participants aux réunions de concertation au sujet de leurs besoins spécifiques.

En conclusion, la transformation des centres-villes s’est considérablement accélérée depuis le début de la pandémie de Covid-19. Nous ne pouvons que nous réjouir de l’accroissement de la place accordée à la marche et autres mobilités actives. Mais gardons à l’esprit que tout le monde n’a pas les mêmes capacités physiques, sensorielles, cognitives ou intellectuelles. Faisons en sorte que chacun trouve sa place dans ces nouvelles zones apaisées. Nous espérons que ces recommandations vous aideront à concevoir des espaces partagés vraiment partagés par tous.

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Publié le 28 mars 2022

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Lise

Créer une culture commune entre tous les acteurs engagés pour rendre la ville et ses services accessibles à toutes les personnes qui vivent avec un handicap, c’est ce qui m’anime au quotidien !