Sécurité des piétons aveugles et malvoyants : les carrefours complexes en questions
Pour une personne aveugle ou malvoyante, traverser la rue est déjà une épreuve. Alors, que dire si cette rue comporte trois ou quatre voies de circulation et en croise une autre qui en comporte tout autant ? Comme l’ensemble des traversées piétonnes, ces carrefours complexes doivent être équipés de feux sonores. Un défi technique qui donne du fil à retordre à de nombreuses villes en raison du risque de confusion des traversées par les usagers. Recommandations, expérimentations, solutions techniques déjà implantées, vous découvrirez dans cet article tout ce que vous devez savoir pour améliorer la sécurité des piétons déficients visuels dans ces environnements particulièrement difficiles.
Qu’appelle-t-on un carrefour complexe ?
Pour répondre à cette question, commençons par définir ce qu’est un « carrefour simple ». Il s’agit d’une intersection entre deux rues seulement. Il peut être en T ou en X. Les rues peuvent circuler à sens unique ou double sens. Mais on ne peut parler de carrefour simple que si les rues ne comportent qu’une ou deux voies parallèles.
Un carrefour devient « complexe » dès lors qu’il comporte au moins une de ces caractéristiques :
- Plus de deux rues qui se croisent ;
- Plus de deux voies de circulation parallèles ;
- Une voie de circulation réservée aux transports en commun (tramway ou bus à haut niveau de service – BHNS) ;
- Une ou plusieurs voies cyclables ;
- Un îlot refuge pour séparer les voies de circulation ;
- Des phases de feux décalées sur les différentes voies de circulation.
Toutes les traversées piétonnes équipées d’une signalisation lumineuse (figurine « piéton » rouge/vert) doivent être équipées de répétiteurs sonores à l’attention des personnes aveugles et malvoyantes. Cependant, dans les carrefours complexes, appliquer la réglementation relève du défi technique en raison du risque de confusion des indications sonores, un problème sur lequel de nombreux responsables de signalisation urbaine se sont déjà arraché les cheveux.
Quelles sont les limites de la norme NF S32-002 pour les carrefours complexes ?
Les répétiteurs sonores des feux piétons doivent répondre à la norme NF S32-002. Cette norme définit les caractéristiques techniques et les fonctionnalités des dispositifs sonores. Elle ne traite cependant pas des questions d’implantation et d’installation.
La télécommande radio définie dans la norme permet de déclencher l’ensemble des dispositifs sonores situés dans un rayon de dix à vingt mètres. L’utilisateur doit ensuite sélectionner à l’oreille parmi les indications sonores celles qui correspondent à la traversée qu’il souhaite entreprendre. Sur un carrefour complexe, le déclenchement simultané de plusieurs traversées peut engendrer des confusions potentiellement dangereuses.
C’est le cas lorsque :
- Les mâts des feux commandant des traversées distinctes sont trop proches les uns des autres ;
- Les phases piétonnes sont contradictoires sur les deux parties de la chaussée (cas des traversées en deux temps).
Ces risques de confusion ont amené la ville de Paris à renoncer à l’équipement des carrefours complexes en répétiteurs sonores, dans l’attente d’une solution technique satisfaisante. La Direction de la Voirie et des Déplacements (DVD) de la Ville de Paris mène des expérimentations depuis plusieurs années à la recherche de cette solution.
Quelles sont les recommandations du CEREMA pour les carrefours complexes ?
Le Cerema (Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement) accompagne les collectivités territoriales dans la mise en pratique des textes réglementaires concernant la voirie et les espaces publics. Dans sa fiche intitulée « Carrefours comportant au moins une traversée équipée de signaux R25 (BHNS, tramways) », le CEREMA apporte quelques éléments de réponse concrets concernant l’aménagement des carrefours complexes.
Les couloirs sonores
Le CEREMA recommande de créer un « couloir sonore » de manière à guider les piétons aveugles et malvoyants d’un bout à l’autre de la traversée. Deux principes à respecter pour atteindre cet objectif :
- Les mâts des feux commandant une même traversée doivent être positionnés face à face ;
- Les indications sonores doivent être dirigées en direction des usagers auxquelles elles sont destinées, soit vers le centre du passage piéton, et être audibles tout au long de la traversée.
La synchronisation des répétiteurs
Pour garantir l’efficacité du couloir sonore, les répétiteurs de feux d’une même traversée doivent être activés simultanément. Il arrive fréquemment que, en raison de l’orientation de la télécommande ou de la configuration de l’environnement, un seul module sonore se déclenche sur une traversée. Il existe aujourd’hui des solutions techniques qui permettent d’établir une communication entre deux modules de manière à ce qu’ils se déclenchent en même temps dès que l’un d’entre eux reçoit le signal d’une télécommande.
Eloigner les répétiteurs sonores du centre du carrefour
Toujours pour éviter les confusions, le CEREMA recommande d’éloigner les répétiteurs sonores les uns des autres. Les couloirs sonores sont donc positionnés sur le contour extérieur du carrefour. Ainsi, les piétons savent que les indications sonores proviennent toujours du même côté. Cette implantation prévient également le risque qu’un piéton dévie vers le centre du carrefour, zone la plus dangereuse.
La séparation des passages piétons
Le CEREMA recommande de positionner les passages pour piétons sur la partie rectiligne du trottoir de manière à ce qu’ils ne se chevauchent pas. La bande d’éveil de vigilance est alors parallèle aux bandes blanches du marquage.
Les îlots refuges
Lorsqu’une traversée est longue ou complexe, il est préférable de créer un îlot refuge pour la diviser en plusieurs traversées simples et permettre aux piétons de s’arrêter sur un espace sécurisé. Dans ce cas, la traversée se décomposera en plusieurs couloirs sonores successifs. Les îlots refuges doivent être facilement détectables par les personnes aveugles par l’implantation de bandes d’éveil de vigilance.
Vous trouverez toutes les informations concernant le traitement des îlots dans la fiche citée plus haut, téléchargeable gratuitement sur le site du CEREMA.
Quelles solutions ont déjà été expérimentées ?
Montpellier : précurseur des couloirs sonores
La ville de Montpellier a commencé l’implantation de couloirs sonores depuis plusieurs années. Au lieu d’être intégrées directement dans la figurine « piéton », le répétiteur sonore se situe dans un boitier externe orientable. Cette solution technique permet de diffuser le son vers la traversée piétonne et aux personnes déficientes visuelles de conserver un axe rectiligne. Un travail est également réalisé sur l’optimisation des volumes sonores de manière à ce que les messages soient parfaitement audibles sur une traversée sans parasiter ceux de la traversée voisine. Enfin, les messages parlés diffusés sur la phase rouge sont personnalisés. Ils indiquent non seulement le nom de la rue traversée, mais également la direction vers laquelle le piéton s’oriente. Exemple : « Rouge piéton, rue de la République, en direction de la station de tram ».
Paris : des tapis traversants pour un meilleur repérage tactile des traversées
Comme dit plus haut, la ville de Paris a pris la décision de ne pas équiper les carrefours complexes en répétiteurs sonores en raison du risque de confusion. La ville, par son envergure et sa fréquentation, compte cependant de très nombreux carrefours complexes. Voilà pourquoi la Direction de la Voirie et des Déplacements (DVD) mène depuis plusieurs années des expérimentations à la recherche de solutions innovantes. Ces expérimentations ont notamment porté sur l’identification d’un dispositif tactile d’aide au guidage sur les traversées piétonnes. Le dispositif doit être sécurisant pour les personnes aveugles et malvoyantes mais ne causer aucune nuisance pour les autres usagers. Ce défi a été relevé en travaillant avec le CEREMA et le déploiement des tapis traversants a débuté en 2019 sur les carrefours complexes. D’autres expérimentations concernent l’évolution des feux sonores mais aucun résultat n’a encore été communiqué.
Rouen : des signaux sonores pour les carrefours sans feux
Nous sortons du cadre des répétiteurs sonores pour feux piétons, mais le cas de la Métropole de Rouen mérite qu’on s’y attarde. Afin de fluidifier la circulation de son bus à haut niveau de service TEOR, la Métropole de Rouen a pris la décision de supprimer certains carrefours à feux. Elle a alors implanté des signaux sonores à l’attention des piétons déficients visuels pour compenser la disparition de ces repères. Ces signaux sonores sont associés à un signal clignotant qui alerte les conducteurs de la présence d’une personne vulnérable à l’emplacement de la traversée. De nombreuses villes et métropoles ayant entamé une démarche de réduction du nombre de carrefours à feux, cette solution devrait se répandre afin de maintenir la sécurité des usagers déficients visuels.
Vous l’aurez compris, le traitement des carrefours complexes pour les piétons aveugles et malvoyants implique d’une part un paramétrage fin des feux sonores, mais également des adaptations de l’aménagement. Si la norme NF S32-002 montre ses limites dans ce contexte particulier, il est probable que les innovations des fabricants la fassent prochainement évoluer. Nous vous tiendrons bien sûr informés.
Publié le 27 juillet 2020
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