Série noire pour une canne blanche – Episode 9 : La magie de Noël

Les décorations scintillantes dans les rues de nos villes, les jolis chalets des marchés, la délicieuse odeur du vin chaud et des biscuits à la cannelle, la chaleur des retrouvailles familiales, les yeux des enfants qui pétillent… Voici venue la féerie de Noël ! Avec 8 neveux et nièces, 4 frères et sœurs, autant de beaux et belles, des parents, des oncles, des tantes, des grands-parents…, c’est donc la période où je me transforme en Mère-Noël ! Et pour une Mère-Noël qui ne voit rien, remplir sa hotte peut provoquer quelques irritations. La foule grouillant dans les magasins, les vendeurs indisponibles ou excédés, la peur de décevoir par un cadeau mal choisi, les emballages, la décoration, les préparatifs des repas… voilà de quoi alimenter mes tourments pendant les semaines qui précèdent cette grande fête.

Les mystérieuses vitrines de Noël

Noël arrive chaque année le 25 décembre. Et il ne faut pas attendre le 26 pour que je me jure qu’on ne m’y prendra plus jamais, que dorénavant, je penserai à mes cadeaux de Noël tout au long de l’année. Et pourtant, chaque année, on m’y reprend… Quand arrive le mois de décembre, c’est la même chose. Je n’ai pas la moindre idée de ce qui pourrait faire plaisir à mes proches. Et entre mes obligations professionnelles, les associations dont je fais partie qui veulent toutes réunir leur conseil d’administration avant la fin de l’année, les concerts à assurer avec mes différents chœurs, les repas avec les groupes d’amis pour s’entraîner aux ripailles à venir, mon agenda ressemble de plus en plus à celui d’un ministre en campagne.

vitrines de Noël accessibilité

Certes, je pourrais profiter de mes nombreux déplacements à pied pour repérer dans les vitrines de jolis objets qui feraient forcément plaisir à quelqu’un. D’autant plus que j’habite dans un quartier riche en boutiques de créateurs toutes plus attrayantes les unes que les autres. Mais aussi lumineuses et colorées soient-elles, sans voir, impossible de savoir ce qui se cache derrière ces vitres lisses et froides. Impossible de flasher sur un joli foulard qui plairait sûrement à l’une de mes sœurs ou une magnifique lampe qui irait si bien dans le salon de Mamie. Impossible même de savoir si je passe devant un magasin de vêtements, de vaisselle ou d’électroménager. 

Les facéties des sites marchands

Deux solutions s’offrent alors à moi. Soit je trouve une super copine qui m’emmène avec elle pour faire notre shopping ensemble. Autant vous dire que les copines qui ont du temps et l’envie d’aller se mêler à la foule hystérique des magasins se font plutôt rares en cette période de l’année. Soit je passe des heures et des heures sur Internet à explorer les rayons virtuels pour trouver une idée appropriée à chaque personne à qui j’ai envie de faire plaisir. 

accessibilité numérique achats en ligne

L’avantage d’Internet, c’est que je peux consulter tranquillement les descriptions des produits confortablement installée dans mon canapé, une tasse de thé bien chaud à portée de main. Mais comment ne pas se perdre au milieu des offres innombrables qui ruissellent sur la toile ? Je constate que mes amis voyants font défiler les pages à toute allure d’un clic de souris et ne s’arrêtent que lorsqu’une photo attire leur regard. Quant à moi, je ne peux que compter sur mon fidèle lecteur d’écran pour découvrir mot à mot ce que recèle la page. Et si les développeurs du site n’ont pas pris en compte l’accessibilité, je dois parfois choisir entre 2203161841, 287097244X ou B079TPJQDB. Explicite, n’est-ce pas ? Ce sont les noms des fichiers images auxquels on n’a pas jugé utile d’associer un texte alternatif. Si je réussis tout de même à résoudre cette énigme, à sélectionner les articles qui m’intéressent, les ajouter à mon panier et saisir mon adresse de livraison, c’est souvent au moment du paiement que ça se corse. Un captcha pour valider mon compte client, un bouton « Valider » non identifiable avec un lecteur d’écran, une case à cocher introuvable pour accepter les conditions de vente…, il est fréquent que l’inaccessibilité des sites web stoppe définitivement ma frénésie acheteuse. Dommage que je ne le sache pas plus tôt ! Si seulement je pouvais avoir un message dès l’ouverture du site, du genre : « Ce site est inaccessible aux consommateurs aveugles. Merci de passer votre chemin ! » Pas très politiquement correct, mais au moins, je gagnerais du temps !

L’enfer des grands magasins

Ma cécité ne m’empêche pas d’avoir aussi des préoccupations éthiques : réduire mon bilan carbone, favoriser les petits artisans, limiter la consommation de masse… Mais comme beaucoup, par manque de temps, d’aide humaine, d’organisation certainement…, il m’arrive quand même de finir dans un grand centre commercial en quête de dernière minute pour une boite de Lego ou de Playmobil. La première difficulté, c’est alors de trouver le magasin qui pourra répondre à cette attente désespérée. J’ai pour habitude de me renseigner en amont sur le web ou par téléphone mais une fois sur le terrain, c’est tout autre chose. Comment éviter tous ces corps qui m’assaillent sans aucune attention pour ma « fragile » personne, tous ces individus excédés par l’ambiance déchaînée ? Comment conserver un cheminement à peu près droit en étant prise dans une cohue indescriptible ? Lorsque je finis par atteindre ma destination, je me mets à la recherche d’un vendeur. Ou plutôt, je hèle à la cantonade, dans l’espoir qu’une bonne âme sera sensible à mon appel de détresse. Les vendeurs, ils sont tous occupés, aux prises avec des clients stressés et fatigués, peu aimables. Quand je parviens enfin à leur demander un renseignement, leurs réponses sont très évasives. Impossible de connaitre les choix disponibles. Impossible d’avoir des renseignements complémentaires sur un produit. Difficile de choisir entre deux coloris lorsque le seul avis dont je peux disposer est celui d’un parfait inconnu, uniquement préoccupé par la gestion des stocks de son rayon. Malheureusement, l’effort pour en arriver là est tel que, oui, je l’avoue, il m’arrive fréquemment de repartir avec un article dont je ne voulais pas, plus cher que ce que j’avais prévu, en essayant de me convaincre que ça pourra quand même plaire à quelqu’un. Déception mêlée d’une furieuse envie de meurtre pour tous ces gens qui ne cessent de me bousculer jusqu’à ce que j’aie enfin regagné des lieux plus sereins.

emballer cadeau de Noël avec un handicap visuel

Une fois tous mes achats rassemblés de haute lutte, il ne reste plus qu’à emballer tout ça. Trouver un papier cadeau pas trop moche sans jamais savoir si la tierce personne qui m’aide à choisir a le goût sûr, réaliser des découpes les plus droites possibles, mémoriser la forme des paquets pour chaque destinataire… pour qu’enfin, le matin du 25 décembre, la magie de Noël vienne balayer toutes ces complications. 

Mon petit guide de survie

J’ai heureusement développé quelques astuces pour survivre à cette période d’angoisse.

Je privilégie les cadeaux biodégradables, faciles à se procurer à la caisse d’un magasin, sans avoir à demander des renseignements infinis ou fouiller dans les rayons : un massage, un atelier créatif, un spectacle, un repas dans un grand restaurant ou une nuit dans un lieu extraordinaire…

S’il m’arrive quand même encore souvent d’offrir des objets, je m’arrange pour aller dans les magasins à des heures peu fréquentées et où l’accueil est de qualité.

Si vous êtes commerçant et que vous voulez bien me rendre service, à moi et aux centaines de milliers de personnes déficientes visuelles qui vivent en France, pensez à mettre en ligne le maximum d’informations textuelles sur les produits que vous vendez (même si ce n’est qu’en boutique) et faites vérifier l’accessibilité de votre site, par exemple en passant par une association. N’hésitez pas à proposer des créneaux plus calmes pour les personnes qui ont besoin d’aide.

Enfin, si vous gérez un grand magasin ou un centre commercial, vous pouvez vraiment faciliter l’accessibilité aux personnes déficientes visuelles en installant un dispositif de guidage par balises sonores ou applications smartphone. Ce serait vraiment pour nous un superbe cadeau de Noël, utile et durable !

Cet article vous a plu ? Envolez-vous pour votre prochaine destination dans cet article : Série noire pour une canne blanche Episode 8 : « Stupeur et tremblements » à l’aéroport.

Publié le 10 décembre 2019

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Lise

Créer une culture commune entre tous les acteurs engagés pour rendre la ville et ses services accessibles à toutes les personnes qui vivent avec un handicap, c’est ce qui m’anime au quotidien !