Série noire pour une canne blanche Episode 7 : Cauchemar aux toilettes

Commodités, sanitaires, WC, cabinets, petit coin, chiottes…, quel que soit le nom qu’on leur donne, l’évocation des toilettes provoque toujours une certaine gêne, un sentiment de honte ou de pudeur. Bien que nous soyons tous amenés à les fréquenter plusieurs fois par jour ! C’est avec ce sujet ô combien tabou que je reprends ma « Série noire pour une canne blanche » après quelques mois d’interruption !

L’épreuve de la discrétion

Une envie pressante dans un endroit inconnu…, voilà le genre de situations où j’aimerais pouvoir me faire petite et discrète, m’éclipser sans faire de bruit, faire semblant d’aller prendre l’air ou passer un coup de fil. Mais sans le secours de mes yeux, impossible ! Impossible de déplier ma canne blanche sans attirer les regards. Impossible de prendre la tangente sans rencontrer d’obstacles. Et surtout impossible de me diriger sans savoir où se trouve la destination si convoitée.

Comme tout le monde, il m’arrive cependant de passer de longues heures, voire journées, en terre inconnue et de devoir assouvir certains besoins naturels. Alors, pas le choix ! Je mets ma pudeur au placard et quelle que soit la situation, dans un train, en pleine rue ou lors d’un rendez-vous professionnel, dès que l’envie se précise, je cherche ma victime idéale (une femme de préférence, mais on prend ce qu’on trouve…) pour lui demander de mon air le plus dégagé de m’indiquer les toilettes les plus proches. Et comme la plupart du temps, la description de l’itinéraire s’avère laborieuse, ma victime se propose charitablement de m’accompagner, voire pire, de m’attendre derrière la porte pendant que je me soulage… Une situation plutôt embarrassante et inconfortable, d’autant plus que, parfois, ça prend du temps. Non pas à cause d’un lien secret entre cécité et importance des besoins naturels, mais plutôt en raison des innombrables pièges que peut receler un si petit endroit.

Homme… Femme… Surprise !

Admettons que je localise les toilettes par mes propres moyens, encore faut-il pouvoir distinguer celles attribuées à mon genre. S’introduire dans les toilettes des hommes quand on est une femme cause rarement de vives réactions. Mais je plains mes compagnons d’infortune de sexe masculin à qui il arrive de se tromper. Dans certains pays très procéduriers, une telle erreur peut aller jusqu’au procès et je sais de quoi je parle ! Alors que faire quand on est dans l’incapacité de distinguer une silhouette avec un pantalon de sa jumelle qui porte la jupette ? Attendre qu’un individu passe dans le coin pour lui soumettre la question. Envie pressante, s’abstenir !

Le défi des lieux d’aisance : toucher sans les mains !

Avez-vous déjà ressenti le désir de tripoter une cuvette de toilettes dans un lieu public ? Non ? Je vous rassure, moi non plus. Et pourtant, j’ai l’habitude de regarder avec mes mains faute de moyen plus efficace. J’ai alors mis au point la danse des WC : on fléchit le genou, en équilibre sur un pied, l’autre en avant, une gracieuse rotation et hop ! Petit coup de pied dans la poubelle, petit coup de pied dans la cuvette. Ca y est, c’est repéré ! Ne reste plus qu’à savoir si le couvercle est levé.
Plus l’espace est grand, plus l’épreuve se corse ! J’en profite pour adresser une requête à tous mes futurs accompagnateurs de ces instants quotidiens : Quand il y a le choix, ne m’envoyez pas dans les toilettes PMR sous prétexte qu’elles sont faites pour les personnes handicapées ! Le logo représente un fauteuil roulant et ce n’est pas pour rien ! Les personnes en fauteuil roulant ont besoin d’espace pour manœuvrer, pas moi ! Bien au contraire, plus l’espace est réduit, plus il est facile de m’y retrouver.

Attention haut-le-cœur !

Vous connaissez l’épreuve des jarres dans le célèbre jeu télévisé Fort Boyard ? Vous savez cette épreuve où il faut plonger ses mains dans de larges pots à la recherche d’une clé au risque de rencontrer une mygale ou une souris ? Maintenant, imaginez le type de surprises à découvrir dans les WC. Pas de mygales ni de souris, quoique…, mais flaques douteuses, papier toilette imbibé, serviettes hygiéniques ou tampons usagés… Oui oui, c’est du vécu ! Et plus l’odeur est suspecte, plus l’inquiétude est grande ! Il faut alors s’armer de courage pour partir à la recherche du papier toilette, du bouton de la chasse d’eau, du savon, du sèche-mains… et tout recommencer en cas d’accident. Qui n’a jamais mis les mains dans un urinoir pensant avoir affaire à un lavabo ne peut pas comprendre !

L’enfer des toilettes modernes

Pour répondre aux enjeux d’hygiène, les concepteurs débordent d’inventivité. Commandes au pied, au genou, au coude, cellules de détection…, autant de mystères à percer avec toujours plus de difficultés quand on n’a pas le secours de ses yeux. Combien de fois m’est-il arrivé de déclencher le distributeur de savon sans jamais trouver le moyen d’ouvrir le robinet d’eau ? Je ne saurais le dire.

Les systèmes de verrouillage des portes réservent aussi parfois des secrets. Un jour que je voyageais en train et où je ne pouvais plus réprimer une envie pressante, j’ai bravé mes appréhensions pour me rendre dans une de ces cabines mystérieuses. Eh bien je n’ai pu en ressortir qu’avec l’aide du contrôleur alerté par mes appels et mes coups sur la porte ! Honte à moi, je n’avais pas vu le bouton vert. Autant vous dire que désormais, avant d’entrer dans les toilettes des trains, ou toutes toilettes publiques non conventionnelles, je procède à de nombreuses vérifications.

Quelques pistes pour adoucir le cauchemar

Si votre fonction professionnelle vous amène à prendre des décisions concernant l’aménagement de sanitaires ouverts au public, voici ce à quoi vous devez penser en plus de l’accessibilité PMR :

  • Soignez la signalétique : rendez-la visible de loin et doublez l’information en grosses lettres contrastées et en relief sur la porte, de manière à ce que chacun puisse distinguer les toilettes des hommes et les toilettes des femmes. Une inscription en braille avec un pictogramme contrasté et en relief est un vrai plus !
  • Pour les sanitaires situés en extérieur dans l’espace public, pensez à les signaler par une balise sonore. Ceci permet à toutes les personnes aveugles et malvoyantes de connaitre leur emplacement.
  • Faîtes en sorte que tous les équipements (dérouleur de papier toilette, distributeur de savon, sèche-mains…) soient de couleur contrastée avec leur support.
  • A l’intérieur des sanitaires, disposez dans la mesure du possible tous les équipements à proximité les uns des autres. Evitez le rouleau de papier toilette suspendu à l’arrière de la cuvette. Une fois en position, on a plus tendance à chercher devant que derrière soi !
  • Si vous installez des équipements automatiques avec cellule de détection, vérifiez bien leur fonctionnement. Si le fait de mettre ses mains sous le robinet ne déclenche aucune réaction immédiate, il est fort probable que les utilisateurs perdent du temps à chercher ailleurs un autre moyen de faire couler l’eau.
  • Privilégiez un système de verrouillage/déverrouillage de la porte simple et préhensible.

Et si vous vous trouvez avec une personne aveugle ou malvoyante dans un lieu qu’elle ne connait pas, pensez à lui indiquer discrètement l’emplacement des sanitaires pour lui épargner de grands moments de solitude !

Bon à savoir : L’application HandiPressante permet de localiser les toilettes les plus proches. Initialement dédiée aux personnes en fauteuil roulant pour leur permettre de connaitre l’emplacement des sanitaires accessibles, cette application est bien évidemment utile à tous !

Publié le 10 juin 2019

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Lise

Créer une culture commune entre tous les acteurs engagés pour rendre la ville et ses services accessibles à toutes les personnes qui vivent avec un handicap, c’est ce qui m’anime au quotidien !