Podcast Série noire pour une canne blanche
Présentation générale de la chaîne
Série noire pour une canne blanche, le podcast qui vous ouvre les yeux sur le handicap visuel.
Une série de podcasts présentée par Lise Wagner, experte en accessibilité chez OKEENEA.
Tous les mois, Lise vous invite à la suivre dans ses aventures. Découvrez au travers de ses récits poignants les défis quotidiens qu’affrontent les personnes qui, comme elle, voient le monde avec leurs mains et leurs oreilles. Elle vous emmènera dans la rue, les transports, les magasins, les hôtels et bien d’autres endroits dont vous n’avez même pas idée. Au programme: frisson, émotion, révolte parfois, mais toujours teintés d’un zeste d’humour.
Comme Lise est une éternelle optimiste, elle ne termine jamais un épisode sans vous prodiguer quelques conseils pour que, vous, à votre niveau, vous puissiez alléger son quotidien et celui de ses compagnons d’infortune. Accessibilité, accueil, comportement, découvrez tout ce que vous devez savoir pour faciliter la vie des personnes aveugles ou malvoyantes, 1,7 million de Français tout de même !
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Série noire pour une canne blanche est un podcast proposé par OKEENEA, acteur majeur de l’accessibilité aux personnes handicapées.
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|Musique libre de droits| Myuu – Creepy Clown Symphony
Episode 12| L’enfer, c’est les autres
Transcription Episode 12 | L’enfer, c’est les autres
Bonjour à toutes et à tous, je suis Lise Wagner et je vous accueille dans ma série noire pour une canne blanche. « Série noire pour une canne blanche », c’est le podcast qui vous fait découvrir les défis qu’affrontent quotidiennement les personnes qui, comme moi, voient le monde avec leurs mains et leurs oreilles.
Aujourd’hui, pour ce 12e et dernier épisode de cette saison, j’ai décidé de vous parler de vous, plus précisément des petites maladresses ou malentendus qui peuvent brouiller la communication entre ceux qui sont bien pourvus en termes de vision et ceux qui le sont moins, voire pas du tout.
J’ai intitulé cet épisode « L’enfer, c’est les autres. » J’aurais aussi bien pu l’appeler « L’enfer est pavé de bonnes intentions ». Car oui, en général, les intentions des sauveurs qui se précipitent au secours d’un virtuose de la canne blanche sont tout à fait louables. Mais la manière dont elles se traduisent en actes n’est pas toujours appropriée. Je vous raconte. Vous comprendrez qu’il est parfois difficile de garder son sang-froid.
D’un côté, quand je parle avec des bien-voyants des yeux, on me dit souvent : « je suis gêné, je ne sais pas comment aider un non-voyant dans la rue, j’ai peur de mal faire, de lui faire peur, qu’il ne m’entende pas, etc. etc. » Et d’un autre côté, quand nous nous retrouvons avec mes compagnons d’infortune, je ne vais pas vous cacher qu’un de nos sujets de prédilection, ce sont les maladresses des bien-voyants à notre égard. Entre ceux qui nous sautent dessus à l’approche du moindre obstacle, ceux qui, au contraire, font de grands détours pour ne pas nous croiser sur un trottoir, ceux qui s’adressent à nous comme si nous avions du mal à comprendre la langue française, ceux qui préfèrent s’adresser à la personne qui nous accompagne, ceux qui posent des questions ultra-intrusives, ceux qui entament la conversation en nous disant : « j’ai un ami comme vous » et qui nous abreuve de détails intimes sur le dit ami, alors que nous n’avons rien demandé… Bref, vous l’aurez compris, notre handicap suscite parfois chez les autres des attitudes quelque peu étranges.
Il y a d’abord les bons samaritains qui, avides d’une bonne action, ne prennent même pas le temps de nous demander ce dont nous avons besoin, s’empressent de nous attraper par un bout pour nous remettre dans le droit chemin, du moins ce qu’ils estiment eux être le droit chemin. C’est ainsi que l’un de mes amis a été conduit de force dans la Basilique de Fourvière à Lyon, alors qu’il cherchait simplement à rejoindre la station du funiculaire pour redescendre en ville. Plus classiquement, il est arrivé à un bon nombre d’entre nous, de nous retrouver de l’autre côté de la rue alors que nous n’avions nullement l’intention de traverser.
Imaginez-vous, vous êtes sur un trottoir et vous attendez le bus ou tout simplement un ami qui doit vous rejoindre. Une personne, que vous ne voyez pas, je le rappelle au cas où, arrive par derrière et vous empoigne le bras pour vous emmener vers le passage piéton. Comment réagiriez-vous ? Moi, j’avoue que ça me donne l’impression d’être un objet qu’on déplace sans ménagement.
Mais cette situation arrive aussi très souvent en plein déplacement, par exemple dans les couloirs du métro, en particulier lorsque nous abordons un escalier. On est là, on avance, on a toutes ses antennes en éveil. On se concentre sur sa technique de canne pour ne pas rater la première marche. Et là, une main inconnue se glisse soudainement sous votre bras, quand elle ne vous empoigne pas fermement. Là, mon réflexe naturel serait de me débarrasser de l’intrus en lançant un violent coup d’épaule. Mais comme je suis une fille bien élevée et que je ne veux pas passer pour quelqu’un de violent, je me retourne simplement vers cette personne avec un grand sourire forcé et je lui dis « bonjour. » En général, cela suffit pour lui faire prendre conscience de sa maladresse. J’en profite alors pour faire un peu de pédagogie et ouvrir le dialogue en lui expliquant que, vu que je ne vois pas, la meilleure manière de m’aborder, c’est de m’adresser la parole avant toute tentative gestuelle. Mais ce n’est pas toujours efficace, en particulier lorsque l’intervenant ne parle pas la même langue. Un jour où j’allais prendre le métro, une dame, tellement paniquée à l’idée que je tombe dans la fosse, m’a retenue fermement par le bras pour m’empêcher de m’en approcher. Moi j’avais tout simplement l’intention de me positionner sur un emplacement de porte pour anticiper l’arrivée de la rame en station. Je lui ai alors gentiment demandé de me lâcher. En plus, à cette époque, j’avais une blessure au poignet qui représentait un sérieux danger au cas où on me serrait trop fort. Mais visiblement, elle ne comprenait pas et avait vraiment très peur pour moi. Plus je me débattais et plus elle serrait. J’ai dû alors me fâcher contre elle et lui crier dessus pour qu’elle accepte enfin de me libérer. Les témoins de la scène ont alors peut-être pensé que j’étais une personne agressive et ingrate de refuser une aide si spontanément offerte. Malheureusement, dans ce cas-là, j’étais face à une personne qui était tétanisée par sa peur et qui, de toute évidence, ne m’écoutait pas. Qui plus est, et même si elle ne pouvait pas le savoir, elle me faisait courir un sérieux risque pour ma santé. Une autre fois, alors que je traversais au passage piéton, j’ai entendu un scooter arriver dans la rue derrière moi. J’étais alors un peu en alerte, puisque je sais que de nombreux livreurs qui se déplacent en scooter ne sont pas toujours respectueux du code de la route. Mais là, le scooter s’est arrêté. Je continue alors ma traversée, toujours concentrée et à l’écoute de tous les indices sonores. Et là, quelqu’un arrive derrière moi et me saisit fermement par les épaules. Là j’avoue que, sur le coup, j’ai vraiment cru à une agression et ma réaction n’a pas été des plus aimables. Le monsieur, qui malheureusement ne s’exprimait que très peu en français a bredouillé qu’il voulait m’aider
Et c’est vrai. Je suis absolument convaincue que la plupart des personnes qui nous prennent le bras sans notre consentement sont guidées par de bonnes intentions. Mais il en existe aussi malheureusement qui voudraient bien profiter de notre supposée faiblesse pour nous subtiliser quelques biens précieux ou pratiquer des gestes déplacés, sur les femmes en particulier.
Mais il y a pire. Il y a ceux qui, toujours avec cette même louable intention de vous faire éviter les obstacles, vous attrape par la canne pour vous mener dans la bonne direction comme un chien en laisse. D’ailleurs, je connais des gens qui, quand ça leur arrive, ne se gênent pas pour aboyer, ce qui surprend évidemment beaucoup le grand salvateur. Moi je n’ai encore jamais osé mais j’avoue que ça me tente. Il y a quelques semaines, alors que je partais travailler en empruntant un itinéraire dont je n’avais pas l’habitude, je me suis mal embarquée sur une partie de trottoir qui était très encombrée. Lorsque je m’en suis rendu compte, j’ai immédiatement rebroussé chemin et c’est là qu’un homme a brusquement saisi ma canne en prononçant cette phrase sans appel : « Attendez, attendez, je vais vous aider. » Moi, surprise et déstabilisée d’être subitement privée de ma baguette magique, je retire ma canne d’un geste ferme. Lui vexé, le voilà qu’il me lance : « Non mais c’est bon, je vais vous la rendre. Et puis, après tout, tant pis, vous n’avez qu’à vous débrouiller. » J’ai eu beau lui expliquer que m’enlever ma canne me mettait en danger, que c’était un peu comme si je lui mettais la main sur les yeux, il était déjà loin…
Il m’est aussi arrivé une situation semblable en descendant du bus. Je pose à peine le pied par-terre sur le trottoir qu’une dame me braque vivement ma canne sur le côté droit. Là encore, je réagis vivement et c’est là qu’elle se fâche en me disant que c’est pour m’aider. J’essaye de lui expliquer calmement que ce n’est pas la bonne manière, mais elle ne veut rien entendre et finit par cette sentence : « De toute manière c’est la dernière fois que j’aide une personne aveugle. J’avoue que, moi qui n’aime pas beaucoup le conflit, ça ne m’amuse pas du tout de devoir parlementer avec des gens qui sont persuadés de savoir mieux que moi ce qui est bon pour moi. J’ai toujours des scrupules à donner une mauvaise image des aveugles, car je sais que les gens ont vite tendance à généraliser. Mais je refuse de me faire manipuler comme un pantin uniquement sous le prétexte que j’ai un handicap. J’essaye d’être polie, sympa et compréhensive avec les gens mais il m’arrive moi aussi d’être fatiguée, stressée, excédée et je revendique le droit à n’avoir pas toujours un comportement exemplaire.
Il m’arrive aussi d’accepter l’aide d’une personne non pas parce que j’en ai vraiment besoin mais parce que je sens que ça lui fait super plaisir. Je me rappelle d’une fois, j’étais dans le métro et une personne m’a proposé son aide pour sortir de la station. Comme je connaissais bien l’endroit, j’ai commencé par décliner gentiment son offre. Mais comme il insistait et qu’il avait l’air plutôt sympathique, j’ai fini par accepter. Il a d’abord voulu me faire prendre l’ascenseur. J’ai insisté pour prendre les escaliers. Je suis un peu claustrophobe et je n’aime pas particulièrement me retrouver enfermée dans une petite cabine qui sent le pipi. En sortant, je lui désigne l’endroit où je vais. Mais là encore, il insiste pour me faire passer par un chemin qu’il pense beaucoup plus approprié. Comme il semble sûr de lui et que j’en ai un petit peu marre de devoir parlementer, j’obtempère. Je marche alors à côté de lui en lui tenant le bras, et c’est alors que je me heurte violemment le genou à une borne en béton. Là, j’ai envie de lui hurler des insultes. Mais une fois encore, je suis une fille bien élevée alors je me contente de grimacer de douleur. Et lui, pas déstabilisé pour deux sous me lance : « Ah mais vous ne l’avez pas détectée avec votre canne ? » Je me suis alors demandé s’il était juste maladroit ou profondément sadique pour me guider droit dans une borne en béton. Non, c’est vrai, quand je suis au bras de quelqu’un, j’ai la faiblesse de lui faire suffisamment confiance pour alléger ma concentration et ma technique de canne. J’en ai été quitte pour un gros hématome que j’ai traîné pendant plusieurs semaines.
Mais cette histoire m’en rappelle une autre aux conséquences beaucoup plus fâcheuses. Il y a plusieurs années, une de mes connaissances, malvoyante, cherchait à rejoindre la station de taxi dans le pôle d’échange multimodal de Lyon Perrache. Alors qu’elle allait s’engager dans l’escalier qu’elle connaissait bien, un individu l’a retenue pour la diriger vers l’ascenseur. Malgré ses protestations, il a lourdement insisté, lui expliquant que ce serait beaucoup mieux pour elle. Fatiguée de devoir expliquer son choix à une personne si bien intentionnée, elle a fini par céder. Après lui avoir indiqué les boutons, l’homme s’est retiré et il l’a abandonnée dans la cabine. Mais en sortant à l’étage indiqué, elle ne se doutait certainement pas que l’ascenseur ouvrait sur quelques marches descendantes. Dans la pénombre, elle ne les a tout simplement pas vues et c’est alors qu’elle a lourdement chuté en bas. Elle s’en est tirée avec une fracture du pied qui a mis des mois à se résorber. Mais c’est sans compter les graves séquelles psychologiques, car, après une expérience de ce type, croyez-moi, on perd beaucoup en assurance dans ses déplacements.
Encore une fois, je veux être clair, je suis très reconnaissante envers les personnes qui veulent m’aider. Je préfère largement ça à l’indifférence. Mais je voudrais avant tout qu’on se rappelle que je suis une personne avec son libre arbitre et sa volonté. Si vous voulez m’aider, c’est simple comme bonjour. Il suffit en effet de me saluer pour attirer mon attention et de me demander si j’ai besoin d’aide. Si jamais je ne vous entends pas parce que mon attention est ailleurs, ce qui peut tout à fait arriver, vous pouvez bien sûr m’effleurer le bras au moment où vous m’adressez la parole. Il se peut que je décline simplement votre offre, mais ne vous fâchez pas, c’est tout simplement que je n’en ai pas besoin à ce moment-là. Et si j’accepte, il y a de fortes chances pour que ce soit moi qui vous explique ce dont j’ai besoin et comment vous pouvez m’aider. Il n’y a certainement pas besoin d’apprendre un mode d’emploi à l’avance. Chaque personne a ses propres besoins et ses préférences de guidage et c’est à elle de vous les expliquer. Vous l’aurez compris, la seule chose qui compte, c’est d’être ouvert à la conversation.
Je vous laisse sur ces bonnes paroles. J’espère que cet épisode vous a plu. C’était le dernier de cette saison. N’hésitez pas à le partager largement avec votre entourage. Je fais une pause de podcasts pour le moment mais vous pouvez continuer à me suivre sur le webzine Okeenea ou sur le blog Accessibilité-DV.fr, la page Facebook Accessibilité-DV et bien sur mon compte LinkedIn Lise Wagner. Vous pouvez également me faire part de vos commentaires et de vos idées pour les prochains épisodes en m’écrivant à l’adresse lise@okeenea.com.
C’était « Série noire pour une canne blanche », un podcast proposépar Okeenea. En attendant la suite, continuons tous ensemble à rendre le monde qui nous entoure plus accueillant de toute la diversité humaine.
Portez-vous bien et à bientôt !
Episode 11 | Les péripéties d’un chien guide
Transcription Episode 11 | Les péripéties d’un chien guide
Bonjour à toutes et à tous, je suis Lise Wagner et je vous accueille dans ma « série noire pour une canne blanche. »
« Série noire pour une canne blanche, » c’est le podcast qui vous fait découvrir les défis qu’affrontent quotidiennement les personnes qui comme moi voient le monde avec leurs mains et leurs oreilles.
Aujourd’hui pour ce 11e épisode, j’ai décidé de laisser temporairement ma canne blanche au placard pour vous parler des fidèles compagnons à quatre pattes des personnes déficientes visuelles, les chiens guides.
Combien de fois ai-je entendu dans ma vie : « mais pourquoi tu n’as pas un chien guide ? » Eh oui, je dois dire que, bien souvent, les chiens guides sont perçus dans l’inconscient collectif comme les remèdes à tous les problèmes des personnes aveugles. Ah qu’ils sont merveilleux ces chiens ! Qu’ils sont beaux ! Qu’ils sont intelligents ! Il ne leur manque que la parole. Et c’est vrai ! Mais vous qui m’écoutez, vous comprendrez bien vite que la décision d’avoir un chien guide ne se prend pas à la légère. Vous verrez que, même avec un compagnon aussi génial, on peut en voir de toutes les couleurs.
Pendant longtemps, j’étais réticente à l’idée d’avoir un chien guide. J’ai grandi à la campagne, entourée de grands espaces avec beaucoup d’animaux. L’idée d’imposer à un chien un appartement de moins de 50 m², dans un environnement urbain ultra dense était pour moi inconcevable. Je m’imaginais mal aussi comment j’allais trouver le temps de prendre soin d’un chien et lui offrir les moments de détente dont il a besoin en parallèle de mes multiples activités. Et puis, il y a quelques années, lorsque j’ai rencontré mon conjoint, il se trouve qu’on venait de lui remettre son chien guide. Aujourd’hui, il reste bien sur son maître principal, mais moi aussi, j’ai tenu à passer mon permis chien guide. Je parle de « permis chien guide », car oui, marcher avec un chien guide s’apprend. Il ne suffit pas de saisir le harnais et de lui glisser à l’oreille sa destination comme pour un GPS. Je suis donc allée à l’école des chiens guides comme n’importe quel nouveau demandeur. J’ai appris à interpréter ses réactions, à le reprendre en cas de comportement inapproprié, à gérer les rencontres avec les congénères plus ou moins sympathiques, les incidents de parcours, etc. J’ai dû aussi m’habituer à prendre des repères différents. Avec la canne blanche, on ressent les moindres changements de matériaux et toutes les aspérités du trottoir. Certes, on s’en sert d’abord pour éviter les obstacles mais c’est aussi une source d’information énorme sur notre environnement : un mur, une jardinière, un poteau, une barrière… Le chien guide, lui, évite tous les obstacles et ça c’est génial ! Mais il est vrai qu’au début, c’était un peu perturbant de ne pas retrouver ses repères habituels. Et puis, ce qui est vraiment agréable avec un chien, c’est qu’on peut s’abandonner à marcher beaucoup plus vite. Et, à cause de la vitesse, il arrive qu’on perde un peu la notion de distance. J’avoue qu’au début de notre vie commune, il est plusieurs fois arrivé que mon chien m’emmène bien malgré moi là où il avait décidé d’aller lui, voir un copain par exemple ou la boulangère qui était un peu trop gentille avec lui. Ces petits inconvénients se font évidemment bien vite oublier. Ne plus avoir à se soucier des multiples obstacles qui encombrent les trottoirs de nos villes, ne plus passer son temps à rebondir entre les poteaux, les poubelles et les trottinettes abandonnées, pouvoir traverser un grand espace sans avoir le souci de maintenir sa trajectoire, c’est un réel confort. Marcher avec un chien guide quand on ne voit pas, c’est retrouver le goût de la marche plaisir, c’est retrouver le goût de sortir juste pour prendre l’air et pas parce qu’on y est obligé.
Cependant, faire une demande de chien guide est un vrai choix de vie. Et d’ailleurs, le temps d’attente pour en obtenir un vous laisse largement le loisir d’y réfléchir. En effet, le nombre de chiens éduqués n’est pas suffisant pour répondre à la demande et les temps d’attente sont très longs. Cette attente peut être mise à profit pour vérifier qu’on est prêt à lui faire toute la place nécessaire dans notre vie : lui consacrer du temps pour le sortir et jouer, lui offrir des moments de détente avec d’autres chiens, bref des moments où il pourra se laisser aller pleinement à son instinct animal, instinct contre lequel on lui demande de lutter en permanence pendant le guidage.
Mais ce qui est le plus difficile à assumer pour un maître de chien guide, c’est certainement le comportement des autres humains à son égard. D’abord, il y a la question des refus d’accès. Même si la loi autorise les chiens guides d’aveugles à accéder librement dans tous les lieux publics, la réalité est plus compliquée. Croyez-moi, il n’est jamais agréable de se faire arrêter d’un gros bras musclé en pleine poitrine alors que vous rentrez simplement au supermarché pour aller faire vos courses. Généralement, l’incident se solde simplement en expliquant la loi. Mais le manque de formation des agents de sécurité aux droits d’accès, des chiens guides est un problème récurrent. Ça se complique davantage quand on souhaite accéder à un établissement de loisirs comme une salle de sport. On a beau avoir la loi de son côté, devoir imposer son chien guide à un personnel hostile peut gâcher un moment qui aurait dû être dédié à la détente. Et je ne vous parle pas des chauffeurs de taxi qui, à la vue d’un chien guide, tombent inexplicablement en panne ou se trouvent subitement dans l’obligation de servir une course urgente…
Il y a aussi les phobiques. Je ne leur jette pas la pierre. Je sais à quel point une phobie peut être irrationnelle et difficile à contrôler. Et au sujet des phobiques, j’ai une petite anecdote qui, sur le moment, ne m’a pas fait rire du tout, mais qui, avec le recul, est plutôt cocasse.
Avec mon conjoint, accompagnée de notre chien guide, nous étions partis passer la journée à la campagne avec un autre couple, aussi non-voyants et maîtres de chien guide. Nous avions fait le déplacement en train. Au retour, nous sommes montés dans le train et, comme à notre habitude, nous avons sollicité à la cantonade les autres voyageurs pour trouver une place assise. Et malheureusement, comme à notre habitude, personne n’avait répondu. Les gens étaient plongés dans leur conversation, leur lecture, leur musique ou leur profond sommeil… Grâce au petit reste visuel de l’une d’entre nous, nous finissons quand même par trouver un carré libre avec quatre places. Nous nous installons donc en prenant soin de « ranger » au mieux nos deux chiens pour qu’ils ne gênent pas le passage. Comme on ne peut pas les dégonfler, ce qui serait quand même bien pratique, on en met un entre nous et l’autre dans le couloir, le plus possible collé à nos sièges. Vu qu’ils ont bien joué toute la journée, ils n’attendent que ça pour piquer un profond roupillon. Nous, nous sommes soulagés d’avoir trouvé de la place assise et nous pouvons commencer à nous détendre. Mais voilà que, au bout d’une dizaine de minutes, une voix d’homme provenant du fond du wagon nous demande de nous déplacer, prétextant que la présence des chiens l’empêche de travailler. Un peu agacés, je l’avoue, nous lui rétorquons que nous avons déjà eu suffisamment de mal à trouver une place. Il n’est pas question de changer. Nous lui recommandons simplement de rester à sa place et que tout se passera bien. L’incident semble clos et nous reprenons joyeusement notre conversation. Mais quelques minutes plus tard, voilà que l’homme, cette fois un peu plus près, revient à la charge : « Mesdames, Messieurs, j’ai fait un très gros effort pour m’approcher de vous car j’ai très peur des chiens. Je vous demande avec respect de bien vouloir changer de place. » Nous, absolument convaincus de n’avoir enfreint aucune règle, nous campons sur notre position. Et comme le ton commence à monter, nous finissons par répondre qu’il n’a qu’à aller se plaindre au contrôleur. C’est alors que sa réponse tombe : « mais je suis le contrôleur ! » Là, nous n’avons pas pu nous empêcher d’éclater de rire. Mais vu qu’il ne s’était pas présenté, nous ne pouvions pas le savoir. Mais à bien y réfléchir, lui ne se doutait certainement pas que nous étions tous les quatre incapables de le voir. Eh oui, pas un pour rattraper l’autre… En tout cas, ce contrôleur était de toute évidence tellement phobique des chiens que même nos deux grosses peluches complètement amorphes l’empêchaient de faire son travail.
Et puis, à l’inverse des phobiques, il y a les grands amateurs de chiens. Ceux-là, on les reconnaît à leur manière de dire « bonjour » au chien avant de parler au maître. Parfois même, ils vont jusqu’à lui donner des recommandations : « Tu feras bien attention à ta maîtresse. Un peu plus loin, il y a des travaux. Tu feras bien attention de passer à droite. » On est bien d’accord, Le chien, lui, ne comprend rien, mais comme l’humain s’exprime en langage humain et non en aboiements, le maître peut quand même profiter de ces explications. Chouette !
Il y a aussi ceux qui attirent l’attention du chien par un regard ou un claquement de langue alors qu’on est justement en train de traverser la rue. Pire encore, dans les mêmes circonstances, certains se permettent de le caresser ou même de lui donner à manger. Alors ça, vous vous en doutez, c’est une très mauvaise idée. Les chiens guides sont des chiens géniaux mais ils restent des chiens. Ce sont des animaux très sensibles aux sollicitations et tout particulièrement les labradors, la race la plus utilisée pour les chiens guides, ils sont très attirés par la nourriture. Rien de tel qu’un morceau de pain pour leur faire immédiatement oublier leur mission. Alors même si vous adorez les chiens, si vous voyez un chien guide en pleine action, ignorez-le, ça ne pourra que l’aider à mieux se concentrer. Bon, on est bien d’accord, s’il est complètement avachi de tout son long aux pieds de son maître à la terrasse d’un café, là, il a peut-être droit à une caresse. Mais demandez d’abord l’accord à son maître. Ce n’est pas le chien qui décide.
Les chiens guides sont aussi des animaux facétieux qui, parfois, par leur comportement, peuvent mettre leur mettre dans l’embarras. Par exemple, le nôtre a la mauvaise manie de glisser sa truffe sous les jupes des dames. Je suis une femme, je suis parfois en jupe et je sais parfaitement l’effet que ça fait. Je comprendrais très bien qu’un jour l’une d’elles ait une réaction assez violente. En général, elles reculent simplement avec un petit cri et un rire gêné. Et je peux vous dire que la gêne est partagée. Il est aussi difficile, je vous le disais juste avant, de contrôler leur attrait pour la nourriture. Une amie en a plusieurs fois fait les frais avec son chien particulièrement glouton. Un jour, son chien a volé au passage le pain au chocolat d’un homme qui faisait la manche sur le bord du trottoir. Un autre jour, c’était le gâteau d’une dame dans un salon de thé. Le nôtre, c’est un malin. Il fait tout pour ne pas se faire prendre. C’est ainsi qu’on s’est plusieurs fois fait interpeller dans la rue par des gens qui nous ont signalé que notre chien avait dans la gueule un énorme os ou un quignon de pain. Enfin, quand je dis un quignon de pain, c’était plutôt une demi-baguette… une autre fois, alors qu’il s’était parfaitement tenu pendant toute la visite des Halles Paul Bocuse à Lyon, malgré toutes les odeurs très très alléchantes, juste avant la sortie, il avait plongé la tête au sol. Nous avons tout d’abord pensé que ce n’était rien. Mais une fois arrivés à l’arrêt de bus, alors que nous ne faisions plus tellement attention à lui, nous l’avons entendu croquer quelque chose. C’était un escargot farci qu’il avait attrapé à la dernière minute.
Et comme tout être vivant, un chien guide peut aussi avoir un coup de moins bien. Et je peux vous dire qu’il faut avoir de la ressource quand son chien, victime d’une indigestion, régurgite tout son repas sur la moquette du bureau lors d’un entretien d’embauche ou d’un rendez-vous commercial. C’est arrivé à un de mes amis et à en croire son témoignage, ce n’est pas bon pour les affaires.
Je termine avec une recommandation pour les propriétaires de chiens de compagnie. Comme le fait de résister à l’attrait de la nourriture, ne pas succomber à l’appel des congénères est très difficile pour un chien guide. Alors si vous en croisez un, merci d’éviter les contacts trop rapprochés. Pas la peine non plus de faire des politesses en le laissant passer. S’il est facile pour vous de passer devant votre chien pour l’éloigner, vous comprendrez que c’est nettement plus compliqué pour une personne aveugle qui, justement, dépend de son chien pour trouver son chemin. Et, bien sûr, dans ce genre de situations, il n’est pas interdit de communiquer par la parole et même au contraire, c’est plutôt bienvenu.
Enfin, la semaine dernière, c’était la Saint-Valentin. Et je ne résiste pas à vous signaler que les chiens guides participent parfois à la naissance de belles histoires d’amour. Je dois dire que notre chien guide a beaucoup facilité le début de notre relation avec mon conjoint. Il l’a beaucoup aidé à réaliser les trajets entre nos deux domiciles que séparaient trois lignes de métro et un funiculaire. Il nous a alors permis de nous rencontrer plus souvent et de nous retrouver plus facilement à l’extérieur.
Je connais également un autre couple qui a fait connaissance grâce à l’attirance de leurs deux chiens sur un quai de métro. Les chiens n’ont pas attendu pour se faire des bisous sur le quai du métro et c’est alors Que leurs maîtres ont fait connaissance. Une histoire qui dure depuis maintenant plus de vingt ans !
Je vous laisse sur cette belle histoire. J’espère que cet épisode vous a plu. Le mois prochain, ce sera déjà le dernier épisode de cette saison et j’ai décidé de vous parler de vous, plus précisément de vos remarques et attitudes qui peuvent s’avérer blessantes pour les personnes qui, comme moi, ne peuvent avoir le secours de leurs yeux. Rassurez-vous, il ne s’agit certainement pas de vous faire la morale, mais plutôt de vous faire sourire en vous invitant à changer de point de vue.
Vous venez d’écouter « Série noire pour une canne blanche », un podcast proposé par OKEENEA. Vous pouvez retrouver tous les épisodes de la série sur le webzine OKEENEA webzine.okeenea.com et toutes les bonnes plateformes de podcast.
Si cet épisode vous a plu, n’hésitez pas à le partager largement avec votre entourage.
Quant à moi, je vous retrouve très bientôt pour un nouvel épisode de mes aventures. Pensez à vous abonner pour être sûr de ne pas le rater. D’ici là, vous pouvez reprendre une activité normale. Portez-vous bien !
Episode 10 | Le calvaire de l’hôpital
Transcription Episode 10 | Le calvaire de l’hôpital
Bonjour à toutes et à tous, je suis Lise Wagner et je vous accueille dans ma « série noire pour une canne blanche. »
« Série noire pour une canne blanche, » c’est le podcast qui vous fait découvrir les défis qu’affrontent quotidiennement les personnes qui comme moi voient le monde avec leurs mains et leurs oreilles.
Aujourd’hui, pour ce 10e épisode, je vous emmène dans un lieu qu’on aimerait fréquenter le moins possible. Une odeur de désinfectant, un dédale de couloirs, des brancards abandonnés, des silhouettes en blouse blanche qui s’affairent d’un pas pressé… Vous l’avez reconnu ? Nous sommes à l’hôpital. L’hôpital, Un lieu synonyme d’appréhension pour la plupart d’entre nous, et pour cause. Si on franchit les murs de cette inquiétante institution, c’est que quelque chose ne va pas pour nous-mêmes ou l’un de nos proches. Et quand on a en plus une vue déficiente, inutile de vous dire que les choses se corsent. Accrochez-vous, nous voilà partis pour une aventure qui promet d’être mouvementée.
Quand on entre à l’hôpital, à moins que ce soit en simple visite ou au contraire en urgence, la première étape, c’est d’être enregistré, étiqueté, et donc de passer par l’administration. Bien sûr c’est important. Une opération des ligaments croisés et une amputation, ce n’est pas la même chose et autant ne pas confondre les patients. Mais personnellement je redoute toujours particulièrement ce passage puisque rien n’est fait, absolument rien, pour les gens comme moi. Dans un hôpital, comme dans beaucoup d’autres endroits d’ailleurs, une personne avec une canne blanche non accompagnée, c’est un accident, un événement non répertorié. J’ai eu la chance de ne pas fréquenter l’hôpital autrement que pour des visites jusqu’à l’âge de 30 ans passés. Pour la première fois, on m’avait bien prévenu qu’il fallait passer par la case « étiquette ». « Vous savez, c’est le bâtiment orange tout près de l’entrée. » Comme il s’agit d’une conversation téléphonique et que je n’ai pas envie d’entrer dans les détails, je ne précise pas que le bâtiment, qu’il soit vert, bleu, jaune, orange, ça ne change rien, il ne me sautera pas aux yeux. Je garde quand même précieusement cette information pour le moment où je serai sur place et où je pourrai solliciter les passants en leur demandant le bâtiment orange.
Et c’est bien ce qui se passe le jour J. Une charmante dame m’accompagne jusqu’à l’entrée du dit bâtiment. Il y a là un préposé à la distribution des tickets. Faussement naïve, je lui demande comment je serai informé quand ce sera mon tour. Je sais par expérience que rares sont les systèmes de gestion de file d’attente qui annoncent le numéro à haute voix. Et quand bien même je saurais quand mon numéro apparaît, je n’aurais aucune information sur le guichet où je dois me rendre. Vu que ce charmant préposé n’a pas de réponse à ma question, je lui demande si, exceptionnellement, il ne pourrait pas me faire passer en priorité. Ce à quoi il me répond qu’ici tout le monde a une bonne raison d’être prioritaire et qu’il n’y a pas de passe-droit. Il daigne quand même m’accompagner jusqu’à un siège où je m’assois docilement. Pour assurer mes arrières, je demande quand même à ma voisine si elle peut surveiller pour moi le défilement des numéros. Mais comme celle-ci est arrivée avant moi, c’est en toute logique que son tour vient avant le mien et elle disparaît soudain. Mon numéro finit par passer sans que personne ne m’en informe. Ça fait une bonne demi-heure que j’attends quand le préposé aux tickets revient vers moi d’un air inquiet. En regardant mon numéro, il lâche un juron sonore et, pour m’épargner une nouvelle demi-heure d’attente, ô miracle, il propose de m’éditer un ticket prioritaire. C’est donc que ça existe ! S’il avait pu le faire depuis le début, ça aurait quand même été beaucoup plus simple. Je me retrouve donc très rapidement devant une employée, pas plus aimable, mais qui me remet le précieux sésame : mes étiquettes.
Cette scène se répète souvent, à chaque fois que je me rends en consultation dans un hôpital. Sauf qu’aujourd’hui, on a remplacé les préposés aux tickets par des machines et celles-ci ne sont pas plus conciliantes sur l’accord d’une priorité pour les personnes qui ont des difficultés à suivre la procédure. Pire encore, elles ne délivrent tout simplement pas de ticket si on n’est pas capable de maîtriser leur mystérieuse interface tactile. Sans le secours de la vue, c’est mission impossible. Mais par chance, je vous l’assure, il existe encore sur terre quelques êtres humains serviables qui n’hésitent pas à venir en aide à leur prochain. Il arrive quand même souvent que, devant une énigmatique distributrice de tickets, une âme charitable me prête son assistance pour lui faire cracher le précieux bout de papier qui me permettra d’obtenir une place dans la file d’attente. Mais la suite reste aléatoire. Mon numéro de passage sera-t-il appelé à haute voix ? Va-t-on m’indiquer le guichet où je dois me rendre avant qu’on passe au prochain numéro ? Comment va-t-on me recevoir ? « Ah, mais vous êtes… Y‘avait pas un monsieur avec vous tout à l’heure ? Comment vous allez faire pour aller au pavillon W ? Vous avez besoin d’aide ? » Oui, je vous le dis : une personne seule avec une canne blanche dans un hôpital, on n’a pas prévu ça. Alors on s’arrange… On appelle une stagiaire, un agent de sécurité, une femme de ménage… Ou encore, dans certains cas, on essaie de vous décrire l’itinéraire. « A partir de là, vous allez tout droit pendant 500 mètres et à ce moment-là, vous tournez à gauche et ce sera le bâtiment juste en face. Vous verrez, vous ne pouvez pas le rater. » Parfois, je suis tellement découragée que je n’ose pas insister. Et je pars dans la direction indiquée en espérant que ma boussole et mon podomètre intérieurs vont m’aider à atteindre ma destination. En réalité, je sais que va démarrer pour moi un grand jeu de piste que je ne suis pas sûre de gagner. Mais puisqu’il n’y a personne pour m’accompagner et que je suis joueuse, allons-y, on verra bien…
Et je vous jure que s’il y a bien un endroit où l’accessibilité aux personnes handicapées semble avoir été complètement oubliée, c’est dans certains grands hôpitaux, notamment les hôpitaux pavillonnaires. Il existe un étrange contraste entre l’état physique, des patients accueillis et l’attention portée à l’aménagement des lieux. Il m’est d’ailleurs plusieurs fois arrivé de collecter quelques blessures entre l’entrée de l’hôpital et mon bâtiment de destination. Je n’ai jamais rencontré ailleurs une telle diversité d’obstacles, des plots anti-stationnement de toutes les formes. Et malgré cette collection improbable, il n’est pas rare de trouver quand même des véhicules stationnés sur les pseudo-trottoirs qui longent les bâtiments. Alors même avec les meilleures indications possibles pour trouver mon chemin dans cette jungle, les chances de succès sont très minces. Pas de balises sonores, ni de bandes de guidage. Là encore, il vaut mieux pouvoir compter sur l’empathie naturelle de ses congénères.
Mais il y a pire, ce sont les documents médicaux. Sans mentir, ce qui m’effraie le plus dans une hospitalisation, ce n’est pas le fait de rester enfermée pendant plusieurs jours, les examens pénibles ou même une éventuelle intervention chirurgicale. Non, ce sont les innombrables documents à lire et à remplir : formulaire de préadmission, personne à prévenir en cas d’urgence, recommandations, risques encourus, questionnaire d’anesthésie, ordonnances, résultats d’examens… J’avoue que les liasses de documents qu’on nous remet lors d’une hospitalisation provoquent irrémédiablement chez moi une subite envie de pleurer. Surtout que la remise de ces documents s’accompagne en général d’une phrase du type : « y’a bien quelqu’un qui va vous aider à lire tout ça. » J’ignore qui est ce quelqu’un qui rôde dans l’esprit du personnel des hôpitaux, et des administrations d’ailleurs en général. Alors puisque j’ai la parole, j’en profite pour le rappeler une fois de plus. Non je ne vis plus chez mes parents depuis longtemps. Non je n’ai pas de conjoint ou d’enfants voyants que je pourrais exploiter à loisir. Non, mes amis ne sont pas là pour ça. D’ailleurs, vous en avez beaucoup des amis qui sont prêts à passer une demi-journée à remplir des documents administratifs juste pour vous faire plaisir ? Les miens, je crois qu’ils préfèrent qu’on aille se balader ou boire des coups en terrasse, passer un bon moment, quoi. Et non, je ne cache pas d’esclave dans ma cave. Et d’ailleurs, pour tout vous dire, je ne tiens pas à partager des informations médicales confidentielles avec qui que ce soit d’autre que le personnel de santé qui me suit. J’aimerais tant pouvoir être actrice et autonome de mon propre parcours de soins. Alors oui, quand je me retrouve seule face à la lourdeur des formalités administratives, j’ai simplement envie de pleurer. Comment se fait-il qu’en 2023 tous ces documents ne soient toujours pas disponibles dans des formats adaptés aux différents handicaps, et notamment dans un format numérique accessible avec un lecteur d’écran ?
Parlons maintenant du personnel soignant. Peut-être parce que l’empathie est une qualité très répandue chez le personnel soignant, je n’ai jamais eu trop à me plaindre et j’ai eu d’excellentes relations avec la plupart des infirmières, brancardiers ou aides-soignantes qui se sont occupés de moi. Mais parfois, à trop vouloir bien faire, on tombe à côté de la plaque.
Dès lors que vous êtes admis à l’hôpital, et même si vous êtes en pleine forme, le fauteuil roulant est de rigueur pour tous les déplacements, surtout si vous avez un handicap et quel que soit ce handicap, même s’il n’altère en rien votre motricité. J’ai souvent dû négocier avec les brancardiers qui m’accompagnaient à des consultations ou à des rendez-vous d’examen à l’intérieur de l’hôpital pour avoir le droit de me déplacer sur mes deux pieds. Mais je me souviens d’un brancardier qui n’avait absolument rien voulu entendre. Malgré mes protestations, il me pousse donc dans mon fauteuil roulant jusqu’à l’extérieur du service et nous attendons devant les ascenseurs. Moi je bougonais qu’on fasse des choix à ma place, que je pouvais très bien marcher, Au contraire, ça m’aurait fait du bien de me dégourdir les jambes. Lui, resté stoïque, il en avait certainement vu passer d’autres. Alors nous attendons, attendons… une bonne vingtaine de minutes, jusqu’à ce qu’un infirmier en passant nous informe que ces ascenseurs étaient tout simplement hors service. Le brancardier dut alors se résoudre à me laisser marcher, une bonne occasion pour moi de le former à la technique de guide pour les personnes déficientes visuelles.
Un autre moment délicat, c’est la prise des repas avec leur lot de devinettes : l’organisation du plateau, le contenu des barquettes, l’ordre des plats, de l’entrée au dessert, l’emplacement des couverts, de la carafe, etc. Il arrive souvent que les aides-soignantes, très bien intentionnées, veuillent ouvrir les barquettes à ma place. Mais maintenant, j’ai appris à décliner cette attention, poliment mais fermement. Car j’ai le souvenir d’une fois où une aide-soignante avait pris soin d’enlever chaque film protecteur sur les barquettes. Elle m’avait même ouvert. Le yaourt était allé jusqu’à planter la cuillère dedans. Sauf que moi, découvrant le plateau à Tâtons, j’ai trouvé le moyen de mettre les doigts dans la sauce brûlante du plat et, d’un réflexe de douleur, j’ai accroché la petite cuillère du yaourt, le renversant sur ma belle chemise d’hôpital. J’étais bien sûr reconnaissante de cette attention mais je l’aurais été davantage si elle m’avait informée de sa démarche.
Autre anecdote qu’un ami m’a racontée : alors qu’il séjournait à l’hôpital, les aides-soignantes avaient l’habitude de distribuer le café aux alentours de quatre heures. Habituellement, c’était son compagnon de chambre qui faisait le relais et lui donnait un coup de main. Mais un jour que celui-ci était parti pour le week-end, l’aide-soignante est passé et, ne sachant pas comment s’adresser à une personne aveugle, elle l’a tout simplement ignoré. Pas de bras, pas de chocolat. Pas de vision, pas de boisson.
Alors comment faire en sorte que l’hôpital devienne accessible à tous ? Oui, je sais, l’hôpital est malade. Il souffre d’un manque cruel de moyens financiers, techniques et humains. Et la crise sanitaire n’a rien arrangé. Mais je me prends à rêver qu’un jour, l’hôpital offrira à tous ses patients un accueil de qualité adapté à leurs besoins. Je rêve qu’un jour le personnel hospitalier soit formé à la prise en compte des besoins spécifiques de chaque patient. Je rêve qu’un jour l’hôpital soit aménagé de telle sorte qu’il permette un déplacement facile et sûr pour tout le monde. Je rêve qu’un jour chacun puisse avoir accès aux documents dans le format qui lui convient le mieux. Je rêve qu’un jour toute personne qui en éprouve le besoin puisse accéder à une aide humaine sans surcoût, ni contrainte disproportionnée. Que faire pour que ce rêve devienne un jour réalité ? Chacun peut amener sa pierre à l’édifice. Et si vous écoutez ce podcast, je suis sûre que vous êtes prêts à faire votre part du job.
J’espère que cet épisode vous a plu. Le mois prochain, je laisserai exceptionnellement ma canne blanche au placard pour vous raconter quelques aventures vécues avec un compagnon à quatre pattes. Oui nous parlerons des chiens guides.
Vous venez d’écouter « Série noire pour une canne blanche », un podcast proposé par OKEENEA. Vous pouvez retrouver tous les épisodes de la série sur le webzine OKEENEA webzine.okeenea.com et toutes les bonnes plateformes de podcast.
Si cet épisode vous a plu, n’hésitez pas à le partager largement avec votre entourage.
Quant à moi, je vous retrouve très bientôt pour un nouvel épisode de mes aventures. Pensez à vous abonner pour être sûr de ne pas le rater. D’ici là, vous pouvez reprendre une activité normale. Portez-vous bien !
Episode 9 | La magie de Noël
Transcription Episode 9 | La magie de Noël
Bonjour à toutes et à tous, je suis Lise Wagner et je vous accueille dans ma « Série noire pour une canne blanche. »
« Série noire pour une canne blanche », c’est le podcast qui vous fait découvrir les défis qu’affrontent quotidiennement les personnes qui comme moi voient le monde avec leurs mains et leurs oreilles.
Les décorations scintillantes, la délicieuse odeur du vin chaud et des biscuits à la cannelle, la chaleur des retrouvailles familiales, les yeux des enfants qui pétillent…, voici venue la féerie de Noël ! Avec neuf neveux et nièces, quatre frères et sœurs, autant de beaux-frères et belles-sœurs, des parents, des oncles, des tantes, c’est la période où je me transforme en Mère-Noël. Et pour une Mère-Noël qui ne voit rien, remplir sa hotte peut provoquer quelques irritations. La foule grouillant dans les magasins, les vendeurs indisponibles ou excédés, la peur de faire un cadeau qui ne plaira pas, les emballages, la décoration, les repas, voilà de quoi alimenter mes tourments pendant les semaines qui précèdent cette grande fête.
Noël arrive chaque année le 25 décembre et il ne faut pas attendre le 26 pour que je me dise : « l’année prochaine on ne m’y reprendra pas, l’année prochaine, je m’organiserai pour faire mes cadeaux tout au long de l’année. » et pourtant, chaque année, on m’y reprend. le mois de décembre arrive et je n’ai pas la moindre idée de ce que je vais pouvoir offrir à mes proches. Je pourrais bien sûr profiter de mes nombreux déplacements à pied pour repérer dans les vitrines un joli foulard qui plairait sans doute à l’une de mes sœurs, un jouet original pour mon neveu ou encore une jolie lampe qui irait si bien dans le salon de mes parents. Mais les vitrines de Noël ont beau briller de mille feux, avec leurs lumières et leurs couleurs, sans voir, impossible de savoir ce qui se cache derrière ces vitres lisses et froides. Impossible de repérer un joli objet qui ferait un merveilleux cadeau. Impossible même de savoir si je passe devant un magasin de vêtements, de vaisselle, d’électroménager ou encore de nourriture.
Alors, deux solutions s’offrent à moi. Soit je trouve une super copine qui veut bien m’accompagner pour mon shopping de Noël. Autant vous dire que les bonnes copines qui ont envie de se mêler à la folie hystérique en cette période se font plutôt rares. La deuxième solution, c’est de me tourner vers le Web. Je passe alors de longues heures à éplucher les rayons virtuels des magasins en ligne pour dénicher la perle rare qui plaira à chaque personne à qui j’ai envie de faire plaisir à Noël. L’avantage d’Internet, quand les sites sont accessibles bien sûr, c’est que je peux passer le temps que je veux à consulter les fiches des produits, les descriptions ou les caractéristiques confortablement installée dans mon canapé, une tasse de thé bien chaud à portée de main. Mais comment ne pas se perdre dans les innombrables offres qui ruissellent sur la toile ? Je vois bien comment font mes amis voyants qui font défiler les pages à toute allure d’un clic de souris et qui ne s’arrêtent que lorsqu’une photo attire leur regard. Impossible pour moi. Je ne peux compter que sur mon fidèle lecteur d’écran pour lire mot à mot ce que recèle la page et si les développeurs du site n’ont pas pris en compte l’accessibilité, je dois parfois faire mon choix entre des suites de chiffres inintelligibles plutôt que d’avoir du texte bien compréhensible. Et même si j’arrive à faire mon choix parmi les nombreux produits, c’est souvent au moment de la validation de la commande que les choses se gâtent. Comme j’en ai déjà parlé dans un précédent épisode, il n’est pas rare qu’un captcha soit présent au moment de la validation de l’inscription. Mais ce n’est pas le seul problème. Un bouton « valider » introuvable, une case à cocher qu’il est impossible de cocher pour valider les conditions de vente, les problèmes d’accessibilité numérique stoppent souvent définitivement ma frénésie acheteuse. Dommage que je ne le sache pas dès l’ouverture du site. Si seulement j’avais un message du type : « ce site est inaccessible aux consommateurs aveugles. Merci de passer votre chemin, » cela me ferait gagner du temps.
Alors par manque d’accessibilité, de temps, d’aide humaine, d’organisation certainement, il m’arrive presque toujours de finir dans un grand magasin en quête de dernière minute pour un cadeau, une boîte de Lego ou de Playmobil, un parfum, une lampe, un objet déco, etc. La première difficulté, c’est bien sûre de trouver le magasin qui pourra répondre à mon attente désespérée. Et, vous le savez, à l’approche de Noël, les centres commerciaux sont vraiment les endroits qu’on doit fréquenter en dernier recours. Alors comment survivre au milieu de ces corps qui m’assaillent, sans aucune attention pour ma fragile personne ? Comment éviter tous ces individus déchaînés par l’ambiance ? Comment conserver mes repères dans cette cohue indescriptible ? Si, par miracle, j’arrive à atteindre ma destination, je dois me mettre en quête d’un vendeur. Et ça aussi, vous le savez certainement, trouver un vendeur en période de Noël, c’est quasiment mission impossible, encore plus quand vous n’avez absolument aucun moyen d’accrocher le regard. Reste la solution d’appeler à la cantonade en espérant que quelqu’un sera sensible à ma détresse. Et malheureusement, quand j’arrive enfin à parler à un vendeur, les informations sont souvent très décevantes par rapport à ce que je peux obtenir en ligne. Difficile d’obtenir des détails sur les caractéristiques techniques. Et alors, quand il faut choisir entre deux coloris, comment se fier à l’avis d’un parfait inconnu seulement préoccupé par la gestion de ses stocks ? Même si je ne suis pas convaincue de ce que je finis par acheter, l’effort pour arriver là est tel que je ne veux pas repartir bredouille. Oui, il m’arrive souvent de repartir avec un objet qui ne me plaît pas vraiment, plus cher que ce que j’avais prévu, en essayant de me convaincre que, malgré tout, je vais pouvoir en faire quelque chose. Une déception mêlée de fureur contre tous ces gens qui me bousculent jusqu’à ce que j’aie enfin regagné des lieux plus sereins.
Une fois tous mes cadeaux rassemblés de haute lutte, ce n’est malheureusement pas fini. Reste l’épreuve de l’emballage. Il faut alors trouver un papier cadeau, en espérant que la personne qui m’aide à le choisir a le goût sur, réaliser des découpes droite, mémoriser la forme des paquets pour savoir quoi va à qui. J’avais eu un jour l’idée de coller des étiquettes transparentes en braille sur mes paquets mais elles se sont toutes décollées avant la distribution. La distribution d’ailleurs, encore un petit challenge. Il ne faut pas se tromper de chaussures au moment de distribuer les paquets…
Le matin du 25 décembre, la magie de Noël vient enfin balayer tous ces tracas. J’essaye quand même au fil des années de développer mon petit guide de survie. Par exemple, j’essaye de plus en plus d’éviter les cadeaux matériels pour me concentrer sur un bon pour un massage, un atelier créatif, une expérience insolite, un dîner dans un bon restaurant ou tout autre idée de ce genre. Si il m’arrive quand même d’offrir des objets, je privilégie les heures où les magasins sont peu fréquentés et, surtout surtout, où l’accueil est de qualité.
Si vous êtes commerçant et vous voulez bien me rendre service, à moi et aux centaines de milliers de personnes déficientes visuelles en France, N’hésitez pas à mettre le maximum d’informations sur les produits que vous vendez en magasin sur votre site Internet. Et bien sûr, faites vérifier l’accessibilité de ce site Internet.
Enfin, si vous cherchez un grand magasin ou un centre commercial, vous pouvez vraiment faciliter l’accessibilité en installant un système de guidage par balises sonores ou par une application smartphone accessible. Ce serait vraiment pour nous un superbe cadeau de Noël, utile et durable.
J’espère que cet épisode vous a plu. Le mois prochain, nous irons à l’hôpital, mais en simple visite, je vous le promets.
Vous venez d’écouter « Série noire pour une canne blanche », un podcast proposé par OKEENEA. Vous pouvez retrouver tous les épisodes de la série sur le webzine OKEENEA webzine.okeenea.com et toutes les bonnes plateformes de podcast.
Si cet épisode vous a plu, n’hésitez pas à le partager largement avec votre entourage.
Quant à moi, je vous retrouve très bientôt pour un nouvel épisode de mes aventures. Pensez à vous abonner pour être sûr de ne pas le rater. D’ici là, vous pouvez reprendre une activité normale. Portez-vous bien !
Episode 8 | Cauchemar aux toilettes
Transcription Episode 8 | Cauchemar aux toilettes
Bonjour à toutes et à tous, je suis Lise Wagner et je vous accueille dans ma « série noire pour une canne blanche. »
« Série noire pour une canne blanche, » c’est le podcast qui vous fait découvrir les défis qu’affrontent quotidiennement les personnes qui comme moi voient le monde avec leurs mains et leurs oreilles.
Aujourd’hui, pour ce huitième épisode, je vous avais promis une escapade dans le métro. Mais c’était sans compter sur quelques événements mystérieux qui ont bouleversé mes plans. Je vais donc aborder un sujet beaucoup plus trivial.
Commodités, sanitaires, WC, cabinets, petit coin, chiottes… eh oui, on va parler des toilettes. Quel que soit le nom qu’on leur donne, l’évocation des toilettes suscite souvent un peu de gêne ou de pudeur. Et pourtant, qui que nous soyons, nous les fréquentons plusieurs fois par jour.
Comme beaucoup d’autres endroits, les toilettes réservent aux personnes qui ne peuvent pas avoir le secours de leurs yeux de nombreux pièges et surprises.
Première épreuve : la discrétion. Quand vous êtes dans un lieu public et qu’il vous vient une envie pressante, vous tachez de vous faire discret, prétextant un coup de fil ou simplement l’envie de prendre l’air. Impossible à faire quand on ne voit pas. Car quand on a pas la possibilité de se repérer par ses propres moyens, le simple fait de se lever et de déplier sa canne blanche mobilise obligatoirement l’attention des personnes autour. Et quelque part, c’est tant mieux. Mieux vaut ça que l’indifférence. La sollicitude devient d’autant plus pressante, si en plus d’avoir déplié ma canne, blanche, je me heurte à quelques obstacles devant moi. On me demande instantanément où je veux aller et là je n’ai d’autre choix que d’indiquer le but de mon excursion.
Comme tout le monde, il m’arrive pourtant de passer de longues heures, voire des journées en terre inconnue et de devoir par conséquent assouvir certains besoins naturels. Alors je n’ai pas le choix. Je mets ma pudeur au placard et je demande de l’air le plus détaché possible si quelqu’un veut bien m’accompagner aux toilettes. Parmi mes victimes, j’essaye de choisir en priorité des femmes. Mais en situation d’urgence, on prend ce qu’on trouve. Ma victime tente parfois de me décrire l’itinéraire pour me laisser me débrouiller seule. Mais il faut bien avouer que ce n’est pas chose facile, surtout quand on n’en a pas l’habitude. Alors elle offre charitablement de m’accompagner, voire pire, de m’attendre derrière la porte. Je dois dire que cette situation est pour moi parfois plutôt embarrassante et inconfortable. Parce que oui, ça peut prendre du temps. Non pas à cause d’un lien mystérieux entre cécité et importance des besoins naturels, mais tout simplement parce que vous n’imaginez pas à quel point un si petit endroit peut receler de pièges.
La première difficulté est de distinguer les toilettes des hommes des toilettes des femmes. Il est vrai que si je suis accompagnée, cette difficulté n’a pas lieu d’être. Mais si jamais j’ai atteint les sanitaires par mes propres moyens, il m’est absolument impossible de distinguer les toilettes des hommes, des toilettes, des femmes en l’absence d’une signalétique adaptée braille au relief. Heureusement pour moi, il est très rare qu’une femme qui rentre dans les toilettes des hommes provoque un scandale. Par contre, le contraire, et particulièrement dans certains pays, peut vraiment poser problème. J’ai parmi mes connaissances qui partagent ma condition des hommes qui ont frôlé le procès, aux États-Unis par exemple où on ne plaisante pas avec ça.
Ensuite, la difficulté est de se repérer à l’intérieur des toilettes. Avez-vous déjà éprouvé l’envie de tripoter une cuvette de toilette dans un lieu public ? Non ? Eh bien moi non plus ! Et pourtant je suis bien souvent contrainte de regarder avec mes mains, faute de moyens plus efficace. Dans les toilettes, j’essaie tout de même de trouver une technique alternative. Si vous aviez comme moi déjà mis les mains dans un urinoir pensant avoir affaire à un lavabo, vous sauriez de quoi je parle. J’ai donc mis au point une charmante petite danse, la danse des toilettes. Debout sur un pied, l’autre jambe en avant, je tâte pour localiser les différents équipements. Et hop, un petit coup de pied dans la poubelle, un petit coup de pied dans le lavabo, un petit coup de pied dans la cuvette. Ouf, ça y est, je l’ai repéré. Reste à savoir si elle est ouverte, car oui, se soulager sur un couvercle fermé peut avoir des conséquences désastreuses…
Evidemment, plus l’espace est grand, plus l’épreuve se corse. J’en profite pour adresser une requête à mes futurs accompagnateurs de ces instants quotidiens. Quand il y a le choix, ne m’envoyez pas dans les toilettes réservées aux personnes handicapées. Si il y a un fauteuil roulant sur le logo, ce n’est pas pour rien. Une personne en fauteuil roulant a besoin d’espace pour manœuvrer, pas moi. Et au contraire, plus c’est grand, plus c’est compliqué.
Une autre difficulté que vous connaissez bien certainement mais qui s’amplifie encore en cas de handicap visuel, c’est la localisation du papier toilette. Certains individus à l’esprit rotor ont quand même eu l’idée de positionner le distributeur à l’arrière de la cuvette en hauteur. Alors quand on doit chercher avec ses mains, je vous laisse imaginer le style de surprises qu’on peut parfois trouver. Là encore, si vous n’avez jamais mis la main sur une serviette hygiénique usagée ou un morceau de papier toilette imbibé, vous aurez peut-être du mal à comprendre ce que je ressens quand je recherche à tâtons le distributeur de papier toilette. Je vous ai parlé de ma petite danse pour localiser la cuvette des toilettes. Cependant, quand il s’agit de localiser le bouton de la chasse d’eau, le savon, le sèche-main, je n’ai pas d’autre choix que de le faire avec mes mains.
Je dois aussi vous parler des toilettes modernes. Car oui, pour répondre aux enjeux d’hygiène, les concepteurs débordent d’inventivité. Commandes au pied, au genou, au coude, avec cellule de détection… sont autant de mystères qu’il est difficile de percer quand on n’a pas le secours de ses yeux. Combien de fois il m’est arrivé de déclencher le distributeur de savon sans jamais parvenir à trouver le robinet d’eau. Je ne saurais le dire. Mais c’est un coup classique, notamment dans les trains.
Dans les trains ou les toilettes publiques, les sanisettes, j’appréhende aussi beaucoup les systèmes de verrouillage des portes. Un jour où je voyageais en train et où je n’avais pas pu réprimer une envie pressante, je n’ai pu sortir des toilettes qu’avec l’aide du contrôleur après avoir donné force coups sur la porte et poussé des cris pour alerter de ma présence. Inutile de vous dire que maintenant, je procède à de nombreuses vérifications avant de m’enfermer. Mais tout de même, je me suis encore récemment laissé prendre dans des toilettes publiques où j’avais manqué de précaution. Alors que je cherchais le bouton de déverrouillage de la porte, je suis tombée sur un écriteau en braille qui indiquait qu’il fallait appuyer sur le bouton vert. Ha ha… je signale quand même aux concepteurs de ce système que lire le braille et savoir reconnaître la couleur verte du bouton est généralement plutôt incompatible.
Et justement, si dans vos fonctions professionnelles, vous êtes amenés à vous occuper de la conception de sanitaires publics, j’aurais quelques conseils à vous prodiguer. En plus de toutes les obligations concernant l’accessibilité PMR, à savoir les espaces de rotation, les espaces de débattement de porte, la barre d’appui pour pouvoir se transférer depuis son fauteuil roulant, la hauteur des lavabos, des miroirs, de tous les équipements…, j’attire votre attention sur l’importance de soigner la signalétique, de la rendre visible de loin, et surtout d’apposer sur les portes des plaques facilement reconnaissables avec du relief et du braille pour que les personnes déficientes visuelles puissent distinguer les toilettes hommes des toilettes femmes. Pour les sanitaires situés en extérieur sur l’espace public, il est utile également de les signaler par une balise sonore qui permettra aux personnes aveugles ou malvoyantes de les repérer à distance et donc de ne pas avoir besoin de solliciter l’aide d’un inconnu. Faites en sorte que tous les équipements : sèche-mains, distributeur de savon, distributeur de papier toilette… soient contrastés visuellement avec le support et surtout situés à proximité de la cuvette pour le papier toilette et du lavabo pour le savon et le sèche-main. Privilégiez des systèmes de verrouillage des portes simples et facilement préhensibles. Si vous avez recours à des boutons, faites en sorte qu’ils soient bien saillants et munis d’un symbole en relief très compréhensible pour tous.
Je vous adresse un dernier conseil. Si vous vous trouvez avec une personne aveugle ou malvoyante dans un lieu qu’elle ne connaît pas, pensez à lui indiquer discrètement l’emplacement des sanitaires. Vous lui épargnerez de grands moments de solitude.
J’espère que cet épisode vous a plu. Il se peut que vous vous dites depuis le début de cette écoute : « tiens j’ai déjà entendu ça quelque part. » C’est tout simplement parce que, alors que je débutais totalement dans le podcast, j’avais enregistré une première version de cet épisode qui m’a valu une récompense dans le cadre du concours de podcast organisé par le festival « Entendez-voir » à Strasbourg. C’est ce prix qui m’a encouragée à lancer ma chaîne. J’en profite alors pour remercier l’équipe des organisateurs de ce très beau festival.
Le mois prochain, nous quitterons l’environnement un peu glauque des sanitaires pour retrouver la magie de Noël !
Vous venez d’écouter « Série noire pour une canne blanche », un podcast proposé par OKEENEA. Vous pouvez retrouver tous les épisodes de la série sur le webzine OKEENEA webzine.okeenea.com et toutes les bonnes plateformes de podcast.
Si cet épisode vous a plu, n’hésitez pas à le partager largement avec votre entourage.
Quant à moi, je vous retrouve très bientôt pour un nouvel épisode de mes aventures. Pensez à vous abonner pour être sûr de ne pas le rater. D’ici là, vous pouvez reprendre une activité normale. Portez-vous bien !
Episode 7 | Les fourberies de l’automne
Transcription Episode 7 | Les fourberies de l’automne
Bonjour à toutes et à tous, je suis Lise Wagner et je vous accueille dans ma « Série noire pour une canne blanche. »
« Série noire pour une canne blanche, » c’est le podcast qui vous fait découvrir les défis qu’affrontent quotidiennement les personnes qui comme moi voient le monde avec leurs mains et leurs oreilles.
Aujourd’hui, pour ce septième épisode, je vais vous parler des fourberies de l’automne. Car oui, cette saison perfide apporte avec elle des difficultés insoupçonnées pour celles et ceux qui n’ont pas, ou peu, le secours de leurs yeux.
Pour vous peut-être, l’automne, c’est la saison des arbres aux belles couleurs et de la douce lumière, des beautés dont je ne peux malheureusement profiter que par procuration. L’automne, pour moi, c’est la saison des jours qui raccourcissent, des feuilles mortes qui s’amoncellent au sol et des intempéries qui perturbent tous mes repères.
En automne, il ne vous aura pas échappé que la lumière baisse. Depuis une vingtaine d’années que j’ai accepté d’utiliser une canne blanche pour me déplacer, je ne redoute plus la tombée de la nuit. J’ai appris à m’appuyer sur des repères tactiles et sonores qui, heureusement, ne disparaissent pas avec le coucher du soleil. Mais ça n’a pas toujours été le cas. A l’époque où je pensais voir encore suffisamment pour me déplacer sans canne, l’approche du crépuscule était pour moi une terrible menace. Je redoutais particulièrement cette période que l’on appelle « entre chien et loup », où tous mes repères étaient noyés dans une lumière grise. Ce n’est maintenant plus un problème pour moi. Mais je connais encore de nombreuses personnes malvoyantes pour qui l’automne est synonyme de couvre-feu, qui arrive de plus en plus tôt au cours de la saison. Je connais beaucoup de personnes qui restreignent leurs activités aux heures où la lumière leur permet d’avoir des repères visuels.
L’automne, c’est aussi le moment que les feuilles des arbres choisissent immanquablement pour rejoindre le sol. Certes, j’adore entendre le froissement des feuilles sous mes pas et sentir l’odeur de l’humus quand je me balade en forêt. Mais en ville, il en est tout autrement. Les tapis de feuilles mortes recouvrent tous les repères au sol, à commencer par les bandes podotactiles qui me permettent de repérer les passages piétons. Mais ce n’est pas tout. Sous un tapis de feuilles, il n’y a plus de différence entre un asphalte lisse et une bande de pavés. Il n’y a plus de bandes de guidage et parfois, il n’y a même plus les petits dénivelés qui me permettent de maintenir ma trajectoire ou de savoir quand je passe du trottoir à la chaussée.
Autre difficulté et non des moindres, quand le sol est recouvert de feuilles mortes, il est difficile de conserver une technique de canne efficace. Comprenez-moi, pour éviter les obstacles qui encombrent les trottoirs, et il y en a beaucoup – je vous en ai parlé au dernier épisode – on apprend à effectuer un balayage de gauche à droite avec la canne, en alternance avec les pas, de manière à éviter les poteaux, les poubelles, les trottinettes, les terrasses de café, etc. etc. Mais quand à chaque va-et-vient, la canne emporte avec elle un tas de feuilles collantes, il est bien difficile de garder cette technique. Alors je me dis souvent que je ferais mieux de troquer ma canne contre un balai.
Et le remède est parfois pire que le mal. Pour contrer la terrible invasion de ces maudites feuilles mortes dans nos rues, nos parcs et nos jardins, des fabricants à l’imagination on ne peut plus fertile ont trouvé une solution démoniaque : les souffleuses. Car outre le fait que les souffleuses à feuilles consomment du carburant, polluent l’atmosphère et dégagent des nuages de poussière, elles font un boucan d’enfer. Et pour moi qui vois essentiellement avec mes oreilles, quand il y a du bruit, je ne vois plus rien. Impossible de retrouver mes repères sonores, impossible d’analyser les flux de circulation pour traverser la rue, impossible même de savoir si une personne s’adresse à moi pour me proposer son aide. Je n’ai alors qu’une seule envie : m’arrêter et attendre que ça passe. Dans ces moments-là, il vaut donc mieux que je sois confortablement installée sur un espace protégé plutôt qu’au beau milieu de la rue. Ensuite, les tas de feuilles formés par les agents de la ville armés de leur souffleuse restent parfois en place des heures durant et constituent alors de nouveaux obstacles.
L’automne, c’est aussi le retour des intempéries. Le froid d’abord qui engourdit les mains et anesthésie le toucher. Il devient alors compliqué de reconnaître les pièces de monnaie au toucher ou d’utiliser son smartphone pour déclencher son GPS en pleine rue. Mais aussi la pluie. Bien sûr, je connais peu de monde, voyant ou non, qui apprécient la pluie. Cela dit, rendez-vous compte que, quand on a une main prise par la canne blanche, prendre le parapluie de l’autre main ne nous en laisse aucune de disponible. Difficile alors de porter des sacs ou même d’ouvrir les portes. On peut certes aussi se protéger de la pluie en portant une capuche. Mais alors, ce sont les oreilles qui sont bouchées et à nouveau les repères sonores qui sont perturbés.
La pluie laisse aussi dans nos villes de nombreuses flaques d’eau. Je vous laisse imaginer ce que ça donne quand on ne peut pas les anticiper.
Bon, je vous rassure, toutes ces petites difficultés ne font que se rajouter à l’ordinaire et ne m’empêchent heureusement pas de continuer à me déplacer pour mes multiples activités.
J’ai quand même toujours une pensée émue pour ce qui partagent ma condition dans d’autres endroits du monde, par exemple au Canada où le sol est recouvert de neige ou de verglas pendant au moins quatre mois dans l’année.
J’espère que cet épisode vous a plu. Le mois prochain, nous retournerons dans le métro pour quelques aventures qui ne manqueront pas de vous faire frissonner.
Vous venez d’écouter « Série noire pour une canne blanche », un podcast proposé par OKEENEA. Vous pouvez retrouver tous les épisodes de la série sur le webzine OKEENEA webzine.okeenea.com et toutes les bonnes plateformes de podcast.
Si cet épisode vous a plu, n’hésitez pas à le partager largement avec votre entourage.
Quant à moi, je vous retrouve très bientôt pour un nouvel épisode de mes aventures. Pensez à vous abonner pour être sûr de ne pas le rater. D’ici là, vous pouvez reprendre une activité normale. Portez-vous bien !
Episode 6 | Les envahisseurs des trottoirs
Transcription Episode 6 | Les envahisseurs des trottoirs
Bonjour à toutes et à tous, je suis Lise Wagner et je vous accueille dans ma « Série noire pour une canne blanche. »
« Série noire pour une canne blanche », c’est le podcast qui vous fait découvrir les défis qu’affrontent quotidiennement les personnes qui comme moi voient le monde avec leurs mains et leurs oreilles.
Pour ce sixième épisode, je vais vous parler d’une terrifiante invasion, l’invasion des trottoirs de nos villes.
Contrairement à ce que pensent les gens en général, les plus grandes difficultés que je rencontre quand je me déplace seule avec ma canne blanche, ce n’est pas de traverser la rue en sécurité ou de franchir un escalier. Alors non, je ne dis pas que c’est simple, mais il se trouve que j’ai des techniques et des outils qui me permettent d’affronter ces situations avec une relative sérénité. En revanche, je rencontre deux problèmes majeurs dans mes déplacements, c’est d’une part la traversée des grands espaces (souvenez-vous, j’en ai déjà parlé dans un épisode précédent sur les places publiques) et d’autre part l’encombrement des trottoirs.
J’ai parfois l’impression, et je sais que beaucoup d’autres la partagent, que les trottoirs ne sont pas faits pour permettre aux piétons de cheminer en sécurité mais au contraire pour déposer tout ce qu’on ne sait pas où mettre ailleurs.
Vous qui marchez en toute insouciance, parfois le nez sur votre téléphone et/ou les écouteurs dans les oreilles, vous n’imaginez pas toute la concentration qu’il faut pour éviter les obstacles sans pouvoir les anticiper à plus d’un mètre. Poteaux, poubelles, panneaux publicitaires, terrasses de cafés, jardinières…, quand ce n’est pas des vélos, des trottinettes… Certes, tous ces objets ont une utilité mais pourquoi finissent-ils tous invariablement sur les trottoirs ? Pourquoi n’ont-ils pas aussi un espace dédié comme les places de stationnement pour les voitures ?
L’obstacle qui nous pourrit particulièrement la vie, à moi et mes compagnons d’infortune, ce sont les potelets anti-stationnement, vous savez, ces petits poteaux voués à empêcher l’intrusion des voitures sur les trottoirs. Alors oui, ça empêche les trottoirs de se voir transformés en parkings, mais le gros inconvénient, c’est que ce sont des obstacles difficilement détectables Et particulièrement blessants. En effet, pour que ce mobilier urbain ne soit pas dégradé, il est constitué d’une fonte bien solide qui, croyez-moi, laisse des marques irréparables sur les genoux.
Combien de fois, alors que j’ai évité de justesse un poteau détecté au dernier moment du bout de ma canne, je me suis violemment heurtée à une poubelle, un panneau ou une trottinette.
Ah, parlons-en des trottinettes… Je me souviens encore, il y a quelques années, je vivais dans une parfaite ignorance de ces nouveaux engins qui allaient devenir des envahisseurs. C’était un beau soir de septembre. Il faisait encore doux et nous étions attablés à une terrasse avec des amis autour d’une bonne bière et de quelques tapas. Et alors une de mes amies me lance : « dis-moi, c’est pas trop galère pour toi toutes ces nouvelles trottinettes ? » A vrai dire, quand elle m’en a parlé, je ne les avais pas encore rencontrées. Mais cette première rencontre n’a pas tellement tardé. Elle est arrivée au moment où je m’y attendais le moins. Je me rendais à une soirée et alors que je traversais la rue, guidée par le feu sonore que j’avais déclenché avec ma télécommande, je traverse et de l’autre côté de la rue, non pas une, non pas deux, mais au moins trois trottinettes affalées sur la bande podotactile.
Il faut dire qu’au début de l’invasion de ces trottinettes, rien n’était réglementé. Aucune contrepartie n’était demandée aux opérateurs privés qui mettaient à disposition ces engins de malheur. Aujourd’hui heureusement, la situation s’est un peu améliorée. Les trottinettes, il y en a moins. Mais il y en a quand même, et même quand elles sont bien rangées contre le mur, je ne compte plus le nombre de fois où j’ai dû m’arrêter, heurtée par un guidon en pleine poitrine.
J’avoue que ces envahisseurs d’un nouveau genre ont encore augmenté le stress des personnes déficientes visuelles lors de leurs déplacements en ville. Il n’est pas rare de se sentir frôlé par un engin lancé à vive allure. Et, en l’absence de la vue, il est toujours difficile d’évaluer la distance et le danger. Avec tous les obstacles qu’il y a sur les trottoirs, vous imaginez bien que les personnes qui, comme moi, doivent se débrouiller sans la vue ont souvent les jambes couvertes de bleus.
J’ai des amis malvoyants qui sont récemment revenus d’un voyage à Copenhague et qui m’ont fait part d’une initiative que je trouve intéressante. Sur le trottoir, il y a une bande libre de tout obstacle qui est délimitée par deux petites bandes de pavés que l’on peut sentir au toucher, sous le pied ou à la canne, et sur laquelle il n’y a absolument aucun obstacle. D’autant plus que, bien évidemment, les Danois sont beaucoup plus disciplinés que les Français. Je me prends à rêver que des initiatives similaires arrivent en France, mais je crois que je vais pouvoir attendre longtemps.
Alors, à vous utilisateurs de vélo ou de trottinette, je vais vous l’avouer, je suis quand même un peu jalouse de vous voir parcourir la même distance en au moins cinq fois moins de temps qu’il me faut à moi pour le faire à pied. Moi pour qui le temps est si précieux puisque, quand on ne voit pas, tout prend plus de temps. En attendant qu’on trouve un moyen que toutes les personnes handicapées puissent se déplacer aussi rapidement que les valides, s’il vous plaît, roulez loin des piétons et garez vos bolides en dehors des trottoirs. Et si vous êtes impliqué d’une quelconque manière dans l’aménagement urbain, pensez à aménager des bandes libres de tout obstacle sur les trottoirs, de manière à ce qu’on puisse circuler librement, sans crainte de rencontrer un poteau.
J’espère que cet épisode vous a plu. Le mois prochain, puisque nous serons en automne, je vous parlerai des désagréments insoupçonnés de cette saison pour les personnes aveugles ou malvoyantes.
Vous venez d’écouter « Série noire pour une canne blanche », un podcast proposé par OKEENEA. Vous pouvez retrouver tous les épisodes de la série sur le webzine OKEENEA webzine.okeenea.com et toutes les bonnes plateformes de podcast.
Si cet épisode vous a plu, n’hésitez pas à le partager largement avec votre entourage.
Quant à moi, je vous retrouve très bientôt pour un nouvel épisode de mes aventures. Pensez à vous abonner pour être sûr de ne pas le rater. D’ici là, vous pouvez reprendre une activité normale. Portez-vous bien !
Episode 5 | « Stupeur et tremblements » à l’aéroport
Transcription Episode 5 | « Stupeur et tremblements » à l’aéroport
Bonjour à toutes et à tous, je suis Lise Wagner et je vous accueille dans ma « série noire pour une canne blanche. »
« Série noire pour une canne blanche, » c’est le podcast qui vous fait découvrir les défis qu’affrontent quotidiennement les personnes qui comme moi voient le monde avec leurs mains et leurs oreilles.
Aujourd’hui, pour ce cinquième épisode, je vous invite à embarquer avec moi dans les galères des aéroports.
Je ne connais personne qui ne ressent aucune appréhension à l’idée d’un voyage en avion. L’excitation du voyage, l’attente à l’aéroport, la peur d’avoir oublié un document important ou d’avoir laissé une coupable paire de ciseaux dans son sac à main, la foule anxieuse, les douaniers austère, prendre l’avion est souvent une épreuve. Mais quand on a un handicap, contrairement à ce que l’on pourrait penser, c’est presque plus simple que de prendre le bus grâce aux services d’assistance présents dans les aéroports. A condition cependant que le personnel d’assistance soit humain et compétent, ce qui malheureusement n’est pas toujours le cas. Je vous propose d’embarquer avec moi, vous allez voir qu’il faut bien souvent serrer les dents.
Tout d’abord, sachez que, quel que soit votre handicap, le fauteuil roulant est obligatoire. Et ceci même si vous êtes acrobate ou marathonien. On pourrait penser que le personnel des aéroports est formé à reconnaître les différents handicaps et à s’adapter aux besoins spécifiques de chacun. Mais il n’en est rien. Dans beaucoup d’aéroports, même encore aujourd’hui, vous avez demandé un accompagnement, on vient vous chercher en fauteuil roulant.
Ça m’est arrivé au Maroc, en Espagne, en Allemagne, en Irlande, en Pologne et tout récemment encore au Canada. Alors non seulement on vient vous chercher avec un fauteuil roulant alors que vous n’en avez pas fait la demande, mais en plus, il arrive qu’on vous oblige à vous asseoir dedans. Alors peut-être que vous vous dites : « oui, c’est certainement plus simple de s’asseoir dans un fauteuil roulant que de traverser à pied l’immensité des aéroports. » Moi, le fait de devoir m’asseoir dans un fauteuil roulant, ça me donne l’impression de devoir renoncer à toutes mes capacités motrices auxquelles je tiens tant. A chaque fois que ça m’est arrivé, il a fallu que j’argumente, que je mette en avant mes exploits sportifs pour avoir le droit d’être simplement guidée sur mes deux jambes. Les agents de l’assistance aéroport prétextent souvent que c’est plus facile pour eux de nous emmener en fauteuil roulant. Mais où est le choix du client ? Propose-t-on à une personne qui ne peut pas marcher de lui bander les yeux pour qu’elle ne voit pas comment on la traite ?
J’ai déjà entendu plusieurs personnes déficientes visuelles dire que ça ne les dérangeait absolument pas d’être poussées dans un fauteuil roulant. Mais moi, ça m’est absolument insupportable. D’autant plus que j’aime marcher et j’aime particulièrement me dégourdir les jambes quand j’ai passé huit heures assise pliée dans un avion.
Alors, même si ça part d’une bonne intention, non merci, je préfère largement marcher.
Une autre chose qui me fait sortir de mes gonds, c’est la manière dont on nous appelle, nous, les personnes handicapées. Par commodité, les services d’assistance des aéroports utilisent des codes pour désigner les personnes selon leurs besoins spécifiques. Ce sont des codes avec des lettres, pour désigner par exemple une personne aveugle qui a besoin d’accompagnement, une personne à mobilité réduite qui marche, une personne à mobilité réduite qui se déplace en fauteuil roulant, etc. Chaque besoin spécifique a son code. Mais ce qui est fort, c’est que les employés de l’assistance n’ont absolument aucun scrupule à utiliser ce langage déshumanisant devant les clients qu’ils accompagnent : un Blind, une chaise… Là encore, c’est peut-être un peu d’orgueil mal placé de ma part, mais j’ai quand même du mal à accepter d’être traitée comme un colis.
J’ai le souvenir particulièrement d’un voyage Lyon Francfort, un voyage somme toute assez banal, que beaucoup de gens d’affaires font régulièrement. Moi c’était pour me rendre au plus grand salon européen sur la déficience visuelle, le salon SightCity. J’avais pris pour me rendre à l’aéroport la navette Rhône-Express, qui part de la gare Part-Dieu pour amener à l’aéroport Saint-Exupéry.
Une fois installée dans la navette, j’ai demandé au chef de bord de prévenir l’assistance de mon arrivée. L’assistance que j’avais bien sûr réservée au préalable puisque c’est une obligation de devoir la réserver bien à l’avance, généralement en même temps qu’on réserve son billet d’avion. J’arrive sur le quai, personne. Ce jour-là, il faisait vraiment froid. Personne, au bout d’une demi-heure, toujours personne. Au bout de plus d’une demi-heure, un homme arrive. Pas un bonjour, pas un mot de présentation. Il m’attrape par le bras et il me dit : « on y va. » Je soupçonne quand même qu’il s’agit d’un agent de l’assistance et comme je ne veux pas me mettre davantage en retard, je le suis sans protester.
Et là, je l’entends annoncer dans sa radio : « c’est bon, j’ai récupéré la Blind. » Super, je suis donc une Blind. A mi-chemin, sans doute parce qu’il était appelé ailleurs, il passe le relais à l’une de ses collègues. Je me retrouve passée de bras en bras, vraiment comme si j’étais un ballot de linge ou une simple valise.
Du fait que j’ai attendu longtemps à mon arrivée, nous arrivons en retard à l’embarquement. Et, alors que normalement les passagers en situation de handicap sont embarqués avant les autres, là, l’embarquement a déjà largement commencé. Mon accompagnatrice, toujours aussi peu aimable, me fait courir jusqu’à la porte de l’avion et me jette comme un paquet au steward qui faisait l’accueil des passagers.
Alors que le steward m’aide à m’installer, je lui demande où est ma valise. Il me répond que ma valise n’est pas là et qu’elle a dû partir en soute. Ce qui est absolument impossible puisque je l’avais au moment du contrôle. Et, entre nous, si je me suis cassé la tête à tout faire rentrer dans une toute petite valise, c’est certainement pas pour qu’elle parte en soute. Alors le steward rappelle de justesse mon accompagnatrice. Elle fait le chemin inverse et elle revient quelques minutes après avec ma valise qu’elle avait tout simplement abandonnée auprès de la porte d’embarquement. Alors, non seulement elle me traite comme un colis, mais en plus, elle oublie mon bagage.
Toujours sur ce même vol Lyon-Francfort, 2 ans plus tard, j’ai encore eu une belle mésaventure. Cette fois tout avait pourtant très bien commencé. Il y avait bien quelqu’un qui m’attendait à la descente de la navette de l’aéroport. Pas exagérément poli, vous vous en doutez, mais je m’en accommode. Nous passons le comptoir d’enregistrement, le contrôle. Mon accompagnateur m’amène jusqu’à la salle d’embarquement et comme nous sommes en avance, cette fois, il me laisse attendre et il me dit qu’il reviendra au moment de l’embarquement. L’emplacement me semble un petit peu isolé mais comme toutes mes formalités sont en règle et que je sais que je suis enregistrée comme une personne handicapée nécessitant l’assistance, je suis parfaitement sereine.
Mais l’heure tourne et personne ne se manifeste. Comme j’ai déjà été dans ce genre de situation, j’imagine que mon vol doit avoir du retard. Je me rassure en me disant que, de toute manière, je suis enregistrée, que les passagers handicapés bénéficient d’une attention particulière et qu’on ne va pas me laisser ici. Malgré tous les arguments que je me répète dans ma tête, l’angoisse commence à monter. Je me lève de mon siège et je commence à demander à la cantonade : « s’il vous plaît, s’il vous plaît, y’a quelqu’un ? » Mais personne ne réagit. Finalement je pense à mon téléphone dans lequel j’ai pris la précaution d’enregistrer le numéro de téléphone de l’assistance. Là, je tombe sur une voix féminine un petit peu fatiguée, du genre « pas très envie de travailler. » J’explique la situation et là, j’apprends à mon grand désespoir que personne n’est en route pour venir me chercher… J’ai bien fait d’appeler, elle m’envoie quelqu’un immédiatement.
Mais lorsque l’employé arrive enfin, tout penaud, l’embarquement est terminé et l’avion est parti. Il a beau être super adorable, j’explose. Et moi qui pensais que dans un aéroport tout était ultra sécurisé. Moi qui pensais que les passagers manquants étaient systématiquement appelés au micro. Moi qui pensais que l’assistance aux personnes handicapées prenait soin des personnes dont elle avait la charge. Et ce que j’apprends n’a rien pour m’apaiser : le prochain vol décolle quatre heures plus tard… Et quand je demande des explications sur ce qui vient de se passer, comment on a pu m’oublier, on me répond qu’on m’avait confondue avec une autre personne en fauteuil roulant qui n’avait pas demandé l’assistance et qui s’est présentée à l’embarquement. Vous voyez le rapport ? Moi j’avoue que toujours pas, même des années après.
Aujourd’hui, j’aimerais me convaincre que les choses ont changé. Malheureusement je lis régulièrement des témoignages de personnes handicapées maltraitées dans les aéroports. Par exemple, une amie non-voyante que le personnel d’assistance a fait attendre plus d’une heure sur le quai d’arrivée de la navette Rhône-Express et lui a fait manquer son vol pour Istanbul. Ou encore le président de la commission accessibilité de la CFPSAA, qui rassemble les associations de personnes déficientes visuelles sur le plan national, qui a été tout récemment oublié dans un avion pendant plus de 45 minutes alors que tous les passagers étaient sortis.
Sans compter le refus de vendre un billet d’avion à un couple de non-voyants accompagnés de leur petite fille de 2 ans. Ou encore le refus d’embarquement d’une personne en fauteuil roulant malgré toutes les précautions qu’elle avait prises pour réserver un siège sur lequel elle avait suffisamment d’espace. Bref, vous l’aurez compris, l’accès au voyage aérien pour les personnes handicapées est encore loin d’être totalement garanti.
J’aurais sans doute au moins autant d’anecdotes à raconter sur les voyages en train et le service d’assistance Accès Plus. Je pense que ça fera l’objet d’un prochain épisode. En attendant, je rêve d’un monde où les personnels d’assistance aux personnes handicapées seraient réellement valorisés, bien formés, bien payés, un monde où ils ne seraient pas eux-mêmes maltraités, ce qui les rend forcément maltraitants.
Je connais les problématiques des services d’assistance : surcharge de demandes, difficultés de planification, turnover important… Mais justement, si ce métier était valorisé, nous n’en serions pas là. Je crois aussi beaucoup en la complémentarité de l’aide humaine avec les nouvelles technologies. Si j’avais été en mesure de rejoindre par moi-même la porte d’embarquement grâce à un système de navigation indoor, par exemple, je n’aurais certainement pas manqué mon vol.
J’espère que cet épisode vous a plu. Le mois prochain, nous partirons à la découverte des trottoirs de nos villes et de leurs terrifiants envahisseurs.
Vous venez d’écouter « Série noire pour une canne blanche », un podcast proposé par OKEENEA. Vous pouvez retrouver tous les épisodes de la série sur le webzine OKEENEA webzine.okeenea.com et toutes les bonnes plateformes de podcast.
Si cet épisode vous a plu, n’hésitez pas à le partager largement avec votre entourage.
Quant à moi, je vous retrouve très bientôt pour un nouvel épisode de mes aventures. Pensez à vous abonner pour être sûr de ne pas le rater. D’ici là, vous pouvez reprendre une activité normale. Portez-vous bien !
Episode 4 | Seule à l’hôtel
Transcription Episode 4 | Seule à l’hôtel
Bonjour à toutes et à tous, je suis Lise Wagner et je vous accueille dans ma « Série noire pour une canne blanche. »
« Série noire pour une canne blanche, » c’est le podcast qui vous fait découvrir les défis qu’ affrontent quotidiennement les personnes qui comme moi voient le monde avec leurs mains et leurs oreilles.
Aujourd’hui, pour ce quatrième épisode, je vous emmène à la découverte des pièges des chambres d’hôtel.
Dormir à l’hôtel, que ce soit dans le cadre d’un voyage à l’autre bout du monde ou d’un déplacement professionnel à 200 km de chez moi, c’est toujours une aventure. Une aventure qui ressemble parfois à un redoutable escape game avec son lot d’énigmes à résoudre, d’objets à trouver, d’accès ou d’issues à déceler.
La première étape, c’est de trouver l’hôtel. Comme pour le reste de mes déplacements, je suis assez habituée à me débrouiller seule avec l’aide de mon fidèle smartphone et des applications GPS et calculateurs d’itinéraires en transports en commun. Mais là où ça se corse, c’est quand il faut trouver la porte de l’hôtel, le moment où mon GPS me dit « vous êtes arrivés » mais que, techniquement, je ne sais pas précisément où je me trouve.
A ce moment-là, j’aime bien utiliser la technique du « stop piéton ». Cette technique du stop piéton est assez simple. Il suffit d’écouter les pas des passants et, dès que l’un arrive suffisamment à proximité, de se jeter sur sa victime en prononçant à haute et intelligible voix une phrase du type : « s’il vous plaît, je cherche l’entrée de l’hôtel X ou Y. » A ce moment-là, même si la technique est simple, les réactions sont parfois surprenantes… Il y a ceux qui fuient tout simplement en se disant : « chouette, elle ne me voit pas, je vais pouvoir filer incognito. » Il y a ceux qui ne m’entendent même pas, tellement ils sont plongés dans la consultation de leur téléphone. Il y a ceux qui s’excusent par quelques mots en langue étrangère du style : « je ne parle pas français, laisse-moi tranquille… » Il y a ceux qui accélèrent le pas en lançant : « non non, mais j’ai pas le temps… » Enfin, il y a ceux qui s’arrêtent, qui marquent quand même l’arrêt et qui me disent : « je ne vais pas pouvoir vous aider, je ne suis pas d’ici. » Pour ceux-là, heureusement, j’ai une parade. Il suffit de leur expliquer que je ne sollicite pas leurs connaissances du quartier mais simplement leurs yeux qui certainement sont plus performant que les miens. Il y a aussi fort heureusement, et à ceux-là je vous une gratitude éternelle, ceux qui accourent en voyant mon air désemparé et me propose spontanément leur aide et sont même parfois prêts à m’accompagner jusqu’à la porte, ce qui évidemment est très utile quand la porte est protégée par un Digicode ou un interphone, tout type de contrôle d’accès qui, en général, n’est pas accessible aux personnes qui ne voient pas.
Après l’épreuve de la porte d’entrée, il y a l’épreuve de la réception. Ça peut être très facile si la réception est située juste après la porte et que le réceptionniste, où la réceptionniste, doué de capacités d’accueil normales quand on pratique ce métier, m’adresse un grand « bonjour ». Alors, ce bonjour m’oriente dans l’espace et me permet de me diriger jusqu’au comptoir pour effectuer la suite des formalités. Mais il peut aussi en être autrement quand la réception est située plus loin de la porte ou quand le personnel est momentanément absent ou encore quand il est frappé de mutisme. Car oui, ça arrive, la vue d’une canne blanche provoque chez certaines personnes une telle sidération qu’elles deviennent instantanément muettes.
Si tout se passe bien, la personne qui est à la réception va m’aider directement ou trouver une autre personne pour m’aider à rejoindre ma chambre et à repérer les différents équipements. Si personne ne peut m’accompagner, dans ce cas-là, je vais me faire expliquer le trajet et c’est là où l’aventure commence…
Déjà, pour me rendre à l’étage, entre l’escalier et l’ascenseur, j’avoue que j’ai plutôt tendance à choisir l’escalier. C’est pas seulement pour maintenir la ligne mais c’est aussi parce que, grâce à l’escalier, je vais savoir exactement à quel étage je me trouve et je vais garder une représentation mentale de l’espace que j’ai traversé. Alors que si je prends un ascenseur, eh bien c’est nettement plus compliqué. Parce que, d’une part, il va falloir que je trouve le panneau de commande de l’ascenseur. Est-ce qu’il est à gauche, à droite, plutôt en haut, plutôt en bas ? Est-ce qu’il est sur une ou deux colonnes ? Comment sont les boutons ? Les boutons ne sont pas toujours marqués avec des chiffres en braille ou en relief, ce qui fait qu’il va falloir déduire leur ordre et ce qui fait aussi que quand j’arrive à un étage et que la cabine s’ouvre, je ne sais absolument pas à quel étage je me trouve. Il se peut alors que, croyant être à l’étage de ma chambre, je vais alors m’acharner sur la porte de la chambre de quelqu’un d’autre puisque je serai au mauvais étage… Plutôt désagréable comme expérience, vous en conviendrez.
Admettons que je descende au bon étage. Moi je vais me retrouver devant d’innombrables portes, avec la même poignée, la même serrure, avec le même lecteur de carte, la même petite plaque fixée sur le battant. Et si les chiffres des chambres ne sont ni marqués en relief, ni en braille, toutes ces portes sont exactement semblables. Alors oui, on peut bien sûr les compter : la troisième à droite, la deuxième à gauche… Mais c’est quand même plus rassurant de pouvoir vérifier le numéro de sa chambre avant d’y entrer. Sinon, soit je prends le risque de terroriser un autre occupant de l’hôtel en m’acharnant sur sa porte Croyant que c’est la mienne, ou alors j’erre dans les couloirs en attendant qu’une âme charitable passe et puisse m’orienter. Mais ça peut durer longtemps…
Admettons encore que j’ai trouvé la bonne porte de ma chambre. Commence alors l’épreuve de la carte magique. Eh oui, la fameuse carte magnétique qu’on nous remet à la réception. Je regrette l’époque où on nous remettait une bonne vieille clé bien lourde pour ne pas qu’on l’oublie. Les cartes magnétiques, la plupart du temps, n’ont absolument aucune indication tactile qui permettrait aux personnes comme moi de pouvoir s’en servir. Alors commence l’épreuve de la carte. Puisqu’il y a quatre sens possibles, eh bien on va essayer les quatre !
Une fois entrée dans la chambre se pose alors la question de l’éclairage. Mes yeux ont beau avoir une performance proche de zéro, j’apprécie d’avoir un peu de lumière. D’une part ça m’aide à m’orienter, mais aussi ça crée quand même une ambiance beaucoup plus sympathique, vous en conviendrez. Mais là encore, ce n’est pas si simple. Déjà, souvent l’activation de la lumière se fait aussi en insérant la carte. Donc il va falloir l’insérer dans le bon sens, vous l’avez compris. Mais ensuite, soit tout s’allume, soit rien. Donc dans ce cas, il va falloir trouver les interrupteurs. Alors commence une bonne séance de balayage des murs, que j’astique méthodiquement le long des cadres de portes, à la recherche des interrupteurs, également à proximité de la tête de lit, de part et d’autre, pour pouvoir créer l’ambiance lumineuse qui me conviendra.
C’est la même chose pour les prises. Comme tout le monde, et je vous l’ai dit, pour trouver la porte d’entrée de l’hôtel, j’utilise beaucoup les GPS et mon fidèle smartphone. Sauf que ces petits engins sont très gourmands en énergie et qu’il va falloir que je lui donne à manger. Donc je cherche une prise. Nouvelle séance d’astiquage des murs, cette fois sur un autre niveau puisque ça va être plutôt au niveau du sol. Et tout ça se passe pour tous les équipements finalement : la télécommande de la télé parce que, oui, je peux avoir envie de regarder la télé, la climatisation, n’est-ce pas. Si la température ne me convient pas, eh bien, bonne chance ! Puisqu’il va déjà falloir que je trouve le boîtier mais aussi que je sache comment l’utiliser. Les sanitaires aussi réservent parfois leur lot de surprises, surtout quand on voyage à l’étranger où les systèmes de chasse d’eau ou les systèmes de thermostat pour la douche peuvent parfois beaucoup varier. Souvent dans les hôtels, on a aussi des petits échantillons dans la salle de bain : du savon, du gel douche, du shampooing-douche, du lait pour le corps. Mais alors comment faire la différence entre toutes ces petites bouteilles ? C’est pas évident… Je connais très bien quelqu’un qui un jour a failli se doucher avec du cointreau puisqu’il y avait une petite mignonnette offerte par l’hôtel qu’il a confondu avec le gel douche.
Vous en conviendrez, une fois qu’on a franchi toutes ces épreuves, on mérite bien une bonne nuit de sommeil dans un lit confortable ! En attendant bien sûr les nouvelles épreuves du petit déjeuner qui, inévitablement, arrivera le lendemain matin.
Je ne sais pas si vous êtes au courant mais l’accessibilité est désormais un critère pour juger du standing de l’hôtel et gagner des étoiles. Alors si vous êtes propriétaire d’hôtel, n’hésitez pas à m’inviter. Je me ferai un plaisir de venir tester, surtout si c’est un hôtel cinq étoiles !
J’espère que cet épisode vous a plu. Le mois prochain, je vous inviterai à me suivre dans mes aventures aériennes. Eh oui, on va parler des aéroports !
Vous venez d’écouter « Série noire pour une canne blanche », un podcast proposé par OKEENEA. Vous pouvez retrouver tous les épisodes de la série sur le webzine OKEENEA webzine.okeenea.com et toutes les bonnes plateformes de podcast.
Si cet épisode vous a plu, n’hésitez pas à le partager largement avec votre entourage.
Quant à moi, je vous retrouve très bientôt pour un nouvel épisode de mes aventures. Pensez à vous abonner pour être sûr de ne pas le rater. D’ici là, vous pouvez reprendre une activité normale. Portez-vous bien !
Episode 3 | L’enfer des places
Transcription Episode 3 | L’enfer des places
Bonjour à toutes et à tous, je suis Lise Wagner et je vous accueille dans ma Série noire pour une canne blanche.
Série noire pour une canne blanche, c’est le podcast qui vous fait découvrir les défis qu’affrontent quotidiennement les personnes qui comme moi voient le monde avec leurs mains et leurs oreilles.
Aujourd’hui pour ce 3e épisode, je vous emmène à la découverte des grandes places de la capitale des Gaules et de tous les pièges qu’elle renferme pour les personnes qui n’ont pas eu la bonne idée d’avoir un œil de lynx.
Les places publiques, et oui ces grands espaces qui rivalisent de beauté architecturale où les piétons se plaisent à flâner le nez au vent. Oh oui, d’en parler ça me ferait presque rêver. En réalité, je ne m’en approche qu’avec beaucoup de prudence et je ne les traverse que quand j’y suis contrainte et forcée.
Ça vous étonne ? Essayez de traverser une place les yeux fermés et vous comprendrez bien vite. Rien que dans l’hypercentre, la fameuse presqu’île, notre belle ville de Lyon abrite nombre de ces spécimens dont la simple évocation du nom me provoque des sueurs froides.
Commençons par la place Carnot, un des lieux qu’il est difficile d’éviter quand on est lyonnais. Et oui, la place Carnot est un pôle d’échanges incontournable puisqu’elle abrite la gare de Perrache, la gare SNCF mais aussi la gare routière, une station de métro, une station de tram avec 2 lignes et d’innombrables lignes de bus. Sur cette place, avant de la maîtriser du moins partiellement, j’ai vécu pas mal d’aventures. Je ne compte pas les fois où j’ai tourné en rond en essayant de trouver l’entrée du métro ou l’entrée de la gare.
J’ai rencontré toutes sortes de personnes, toutes sortes de mobilier urbain aussi dont certains m’ont laissé quelques traces sur les tibias des genoux. Et un jour oui, un de ces fameux jour où j’étais complètement perdue à essayer de trouver la station de tram, j’étais alors dans un souterrain dont j’espérais qu’il m’amenait à ma destination et le seul indice que je pouvais avoir c’était les odeurs d’urine. Pas très agréable évidemment. Pas très agréable et un petit peu anxiogène aussi parce que j’imagine toujours que si autant de personnes ont trouvé opportun de se soulager en cet endroit c’est qu’il ne doit pas être très fréquenté.
Et alors que j’étais dans ce souterrain, une personne m’a appelée de loin. J’étais pas très très rassurée mais vu que je n’avais absolument aucune possibilité de fuir, le plus simple m’a paru d’aller vers cette personne qui m’appelait. Au final, j’ai très bien fait puisque cette personne n’était en réalité qu’une autre victime du manque d’accessibilité de ce lieu. C’était un monsieur en fauteuil roulant électrique et qui, me voyant galérer avec ma canne blanche dans un recoin, m’a proposé son aide pour rejoindre le cas du tram. Lui non plus ne pouvait pas passer par les chemins traditionnels empruntés par tout le monde. Enfin moi à la différence de lui, je l’aurais plus si je l’avais su. Mais en l’absence d’une signalétique adaptée, j’étais exactement dans la même situation. J’ai posé la main sur le dossier de son fauteuil et nous avons fait le chemin ensemble.
Depuis la place Carnot, quand on remonte la presqu’île vers le nord, on arrive vers la fameuse place Bellecour, la plus grande place piétonne de France avec sa statue de Louis XIV sur son cheval. Théoriquement, cette place peut se traverser facilement pour rejoindre les grands axes piétons que sont au sud la rue Victor Hugo et au nord la rue de la République. Il y a même une bande en enrobé qui permet de traverser cette place en diagonale. Mais comme cette bande ne démarre pas du bord de la place, il est malheureusement impossible de la retrouver à l’aide d’une seule canne blanche qui nous renseigne sur ce qui se trouve à 1 mètre devant nous.
Alors là aussi, comme pour la place Carnot, ma stratégie c’est le contournement : emprunter les trottoirs extérieurs de la place en espérant qu’ils ne soient pas trop encombrés par des mobiliers urbains ou autre événement temporaire. En continuant vers le nord, on arrive sur la rue de la République, un boulevard de la consommation. Si on arrive à se frayer un chemin entre les différentes manifestations, les personnes qui vous demandent de l’argent pour tout un tas de causes possibles et imaginables, les chalands qui regardent les vitrines sans se préoccuper de leurs congénères, on arrive sur la place de la République où on peut, si on n’est pas très attentif, prendre un petit bain de pied voire un bain court si la chute est un peu trop directe.
Mais il faut croire que ça fait partie du charme de la ville d’avoir de grands bassins de plain-pied sans aucune protection. Toujours sur la presqu’île, la place des Terreaux qui est la place de l’hôtel de ville et qui a été tout récemment rénovée possède aussi son lot de petits jets d’eau prêts à mouiller les pieds des plus distraits.
En résumé pourquoi les places sont aussi difficiles à appréhender pour les personnes déficientes visuelles, c’est tout simplement parce qu’il n’y a pas de repère tactile la plupart du temps. Alors comme le dit souvent un ami, on se sent tout simplement comme une savonnette sur du carrelage : ça glisse. Et on a beau avoir une boussole dans la tête et un super sens de l’orientation, on a vite fait de tourner en rond quand on n’a pas de repère.
Là je vous parle de Lyon mais le problème se pose dans toutes les grandes villes. Il est pourtant possible de concevoir des places où tout le monde se sente bien et où même les personnes déficientes visuelles peuvent se repérer. Pour cela, il suffit de jouer sur les contrastes des matériaux, les contrastes tactiles mais aussi les contrastes de couleurs. On peut prévoir des espaces bien délimités pour que l’environnement soit lisible et qu’on puisse s’y repérer facilement.
En complément, on peut aussi penser à la signalétique sonore, des bornes d’information vocale qui peuvent se déclencher à distance avec une télécommande à la manière des feux sonores. D’ailleurs, il existe de plus en plus d’exemples d’aménagements réussis. Le fameux pôle d’échanges de Perrache dont je vous parlais au début, depuis mes aventures, a quand même fait l’objet de nombreux aménagements comme l’installation de balises sonores mais aussi depuis très peu de temps d’une bande de guidage qui permet de rejoindre la sortie du pôle d’échanges au passage piéton le plus proche.
D’autres villes ont aussi équipé leur place de balises sonores pour faciliter l’orientation des personnes déficientes visuelles. Pour vous en citer quelques-unes, je pense à Orléans, Salon-de-Provence, Saint-Étienne, Paris je crois que c’est en cours. Voilà, il y en a de plus en plus et c’est une très bonne chose.
Bon vous l’aurez compris, si vous voyez une personne avec une canne blanche au milieu d’une place, n’hésitez pas à lui proposer votre aide. Ne supposez pas que parce qu’il n’y a pas d’obstacle autour d’elle, elle va s’en sortir.
J’espère que cet épisode vous a plu. La prochaine fois, nous partirons à la découverte des pièges des chambres d’hôtel.
Vous venez d’écouter Série noire pour une canne blanche, un podcast proposé par Okeenea. Vous pouvez retrouver tous les épisodes de la série sur le Webzine Okeenea, webzine.okeenea.com et toutes les plateformes de podcast.
Si cet épisode vous a plu, n’hésitez pas à le partager largement avec votre entourage. Quant à moi, je vous retrouve très bientôt pour un nouvel épisode de mes aventures. Pensez à vous abonner pour être sûr de ne pas le rater. D’ici là, vous pouvez reprendre une activité normale. Portez-vous bien !
Episode 2 | Les captchas
Transcription Episode 2 | Les captchas
Bonjour à toutes et à tous, je suis Lise Wagner et je vous accueille dans ma Série noire pour une canne blanche.
Série noire pour une canne blanche, c’est le podcast qui vous fait découvrir les défis qu’affrontent quotidiennement les personnes qui comme moi voient le monde avec leurs mains et leurs oreilles.
Aujourd’hui pour ce deuxième épisode, je vous propose un voyage virtuel sur le web au pays des captchas et autres traquenards.
Pour les personnes qui comme moi sommes aveugles ou malvoyantes, faire ses démarches ou ses courses en ligne, c’est une véritable aubaine. On peut alors passer des heures à fouiller les rayons virtuels d’un site de e-commerce, comparer les produits, regarder les compositions, envoyer les pages à ses proches pour avoir un avis sur l’aspect visuel.
On peut passer des heures à lire les petites lignes des contrats pour ses démarches en ligne, chose qu’on n’oserait jamais demander à quelqu’un à qui on veut du bien. Mais le web est aussi peuplé de petits êtres maléfiques, par exemple les captchas.
Je ne sais pas si vous savez ce que c’est un captcha. On appelle captcha les suites de lettres ou de chiffres qu’il faut recopier dans un champ d’édition pour pouvoir valider un formulaire. Parfois même c’est une suite d’images. Il faut reconnaître les voitures ou les chats, les chiens, toutes sortes de choses a priori très faciles mais absolument impossibles quand on ne voit pas ou très mal.
Un jour, j’étais prise d’une folle envie de renouveau dans mon appartement. Je me suis donc rendue sur un site d’une marque de bricolage très connue et j’ai rempli mon panier avec tout ce qui me faisait envie : une petite table et des chaises pour mon balcon pour prendre mon petit-déjeuner au soleil, des organiseurs de tiroir, des étagères pour que tout soit bien rangé. Bref un tas de petites choses dont j’avais envie.
J’y avais passé un certain temps, j’avais bien comparé les articles, les prix, fait le choix des matériaux. Est enfin arrivé le moment de valider ma commande. J’ai donc créé un compte, enfin du moins j’ai essayé. J’ai rempli mon nom, mon prénom, mon adresse, mon numéro de téléphone, mon adresse email, répondu à toutes les questions qu’on me posait et au moment de valider, paf un captcha.
Un captcha, une image avec des lettres, sans doute des chiffres, je ne sais pas, qu’il fallait absolument recopier. Et même si on me demandait très gentiment de bien vouloir recopier les lettres dans le champ d’édition, j’en étais évidemment totalement incapable.
J’ai bien cherché mais ils n’avaient absolument aucune alternative audio, aucun numéro de téléphone ou service à contacter en cas de problème. Je me suis donc tout simplement résignée : adieu table, chaises, organiseurs de tiroir, étagères et tout ce qui me faisait tellement envie à ce moment-là.
Malheureusement les captchas, c’est encore un système anti-robot que l’on retrouve très souvent sur le web. C’est peut-être un système pensé contre les robots mais ça fonctionne aussi très bien contre les personnes aveugles.
Pas plus tard que la semaine dernière, j’ai voulu créer un compte sur Wikipédia pour mettre à jour certains articles dans mon domaine d’expertise. Et là j’ai encore été confrontée à la même difficulté. Et oui, Wikipédia, l’encyclopédie libre, collective et universelle, n’est pas ouverte aux personnes aveugles qui voudraient l’enrichir.
Et là encore, pas moyen de contourner ce satané captcha, pas une alternative audio, pas une adresse mail. Tout simplement une fenêtre pop-up qui vous explique que ce n’est tout simplement pas accessible pour le moment.
Mais ce serait si simple s’il n’y avait que les captchas. Bien d’autres petits êtres maléfiques peuplent le web. Par exemple, des boutons qui ressemblent à de simples textes, des images qui n’ont pas d’équivalent textuel. Ce qui donne par exemple du 9 milliards 536 millions 700 6755 PNGLKB etcetera etcetera. Des champs de formulaire dont le titre n’est pas prononcé, ce qui fait que vous savez que vous pouvez entrer du texte mais vous ne savez pas si c’est votre nom, votre prénom, votre adresse et votre numéro de téléphone ou quoi que ce soit d’autre.
Quand vous faites une erreur dans un formulaire, ça vous est parfois signalé en rouge. Oui mais les logiciels de synthèse vocale ne lisent pas le rouge.
Une chose est sûre, c’est que le web, bien plus encore que pour la population générale, a été une véritable révolution pour les personnes aveugles ou malvoyantes. On peut accéder à une somme d’informations que moi-même je n’aurais jamais pu imaginer il y a 15 ou 20 ans.
Aujourd’hui, je fonctionne aussi beaucoup avec les applications mobiles qui sont une bonne alternative au web. Mais là aussi, on prend des habitudes, on prend ses marques, on sait comment ça fonctionne et du jour au lendemain, on se retrouve avec une mise à jour qui rend l’application totalement inutilisable avec un lecteur d’écran.
Alors s’il vous plaît, si vous êtes développeur, si vous travaillez sur un projet de site web, d’application, de logiciel, même d’un petit truc de communication interne, pensez que le service sur lequel vous travaillez pourra un jour servir à une personne aveugle ou malvoyante.
Pensez à respecter les règles d’accessibilité numérique, pas seulement à poser un bouton qui va permettre de régler la taille des caractères ou la couleur du texte. Non, pensez à respecter les règles d’accessibilité numérique et le service que vous développez sera beaucoup plus universel. Vous ne passerez plus à côté des clients ou utilisateurs qui rencontrent des difficultés d’accès à l’information.
Les services numériques sont partout et l’inaccessibilité est un facteur d’exclusion dans la vie quotidienne mais bien sûr aussi dans la vie professionnelle. Merci, merci d’y penser. Vous aurez alors ma gratitude éternelle, et oui rien que cela.
J’espère que cet épisode vous a plu. Pour la prochaine fois, nous retournerons dans le monde réel pour explorer les grandes places publiques de nos villes.
Vous venez d’écouter Série noire pour une canne blanche, un podcast proposé par Okeenea. Vous pouvez retrouver tous les épisodes de la série sur le Webzine Okeenea, webzine.okeenea.com et toutes les bonnes plateformes de podcast.
Si cet épisode vous a plu, n’hésitez pas à le partager largement avec votre entourage. Quant à moi, je vous retrouve très bientôt pour un nouvel épisode de mes aventures. Pensez à vous abonner pour être sûr de ne pas le rater. D’ici là, vous pouvez reprendre une activité normale. Portez-vous bien !
Episode 1 | Les mystères du RER
Transcription Episode 1 | Les mystères du RER
Bonjour à toutes et à tous, je suis Lise Wagner et je vous accueille dans ma Série noire pour une canne blanche.
Série noire pour une canne blanche, c’est le podcast qui vous fait découvrir les défis qu’affrontent quotidiennement les personnes qui comme moi voient le monde avec leurs mains et leurs oreilles.
Aujourd’hui, pour ce premier épisode, je vous emmène dans le RER parisien. Ah les joies des transports en commun ! Pour moi qui suis non voyante, les transports en commun sont avant tout synonymes de liberté.
Mais quand les choses se dérèglent, l’aventure peut vite se transformer en cauchemar. Un cauchemar d’autant plus terrifiant quand on se retrouve dans une petite gare de banlieue, seule sur un quai, avec pour unique compagnie un homme avec qui il est quasi impossible de communiquer.
Tout ça pour un manque d’accès à l’information. Je vous raconte, c’était un jour de printemps et une amie parisienne m’avait invitée à passer le week-end chez elle. Quand je dis parisienne, ce n’est pas tout à fait vrai puisqu’en réalité elle habitait la coquette ville d’Orsay dans l’Essonne.
Elle m’avait expliqué le trajet avec précision. De la gare de Lyon, je devais prendre le RER A jusqu’à Châtelet-les-Halles puis le RER B direction Saint-Rémy-lès-Chevreuse où je devais descendre à Orsay.
Mais c’était sans compter quelques petites surprises sur le trajet. Tout avait pourtant très bien commencé. J’avais pu me rendre à la gare de la Part-Dieu à Lyon pour prendre mon TGV, j’avais été accompagnée par un membre du personnel SNCF qui m’a mise dans le train et le même service d’assistance à la gare de Lyon à Paris m’attendait pour me réceptionner à ma descente du train et m’avait même accompagnée jusqu’à la gare de RER où j’ai pu monter dedans sans aucun souci.
Mais descendue à Châtelet-les-Halles, c’est là où les choses ont commencé à se gâter. En effet, j’ai appris qu’il y avait des manifestations dans les rues de Paris qui faisaient que la ligne était interrompue sur une bonne partie. Mais même si en tant que provinciale ayant grandi dans un petit village de montagne, les transports en commun à Paris c’est toujours très impressionnant, je suis quand même toujours plutôt confiante puisqu’il y a vraiment beaucoup de monde et il est rare de se trouver seule sans aucune assistance.
Et d’ailleurs, c’est bien ce qui s’est passé. Une femme tout à fait avenante est vite venue à mon secours et m’a proposé une solution alternative pour me rendre à ma destination. Elle avait une connaissance du réseau parisien, je pense que les agents de la RATP auraient pu lui envier. Elle m’explique alors comment me rendre à ma destination, je dois prendre la ligne 4 jusqu’à son terminus porte d’Orléans puis un bus qui me mènera à Bourg-la-Reine où je pourrais récupérer le RER B direction Saint-Rémy-lès-Chevreuse. Elle me quitte à porte d’Orléans puisqu’elle doit aller travailler. En fait, c’était une femme de ménage qui faisait le ménage dans les bureaux la nuit donc elle, elle partait travailler au moment où tout le monde rentrait chez lui ou partait en week-end. Elle prend donc congé non sans avoir pris la précaution de prévenir la conductrice du bus auquel elle m’avait accompagnée que je devais descendre à la station Bourg-la-Reine.
Malheureusement, la suite ne s’est pas tout à fait passée comme prévu puisque la conductrice du bus, sans doute voulant bien faire, ça je n’en doute pas un seul instant, m’a préconisé de descendre plutôt à la station Bagneux que Bourg-la-Reine prétextant que ce serait beaucoup plus simple pour moi, que la station était plus facile et que j’aurais donc moins de difficultés à retrouver le quai du RER.
A ma descente du bus, un monsieur très bienveillant offre de m’accompagner jusqu’au quai, ce que j’accepte bien volontiers. Mais je me rends compte assez rapidement qu’il est difficile de communiquer avec lui puisqu’il parle très très peu français et le peu que j’arrive à comprendre c’est avec un très fort accent. Je comprends qu’il est Egyptien et malgré cette difficulté, il insiste pour attendre le RER avec moi et ne pas me laisser seule donc je ne peux que lui en être très reconnaissante.
Et commence une longue attente. Nous attendons, attendons, un train, puis un autre, encore un autre, Antony, Robinson, Antony, Robinson, Massy, Robinson mais rien pour Saint-Rémy-lès-Chevreuse. J’essaie de joindre mon amie sur son portable mais tous mes appels aboutissent sur sa messagerie. J’apprendrais ensuite que son téléphone l’attendait sagement dans sa chambre pendant qu’elle était en train de regarder la télé ou je ne sais plus trop quoi faire dans le salon.
Mon compagnon d’infortune fait de son mieux pour comprendre les panneaux d’affichage mais malheureusement sans succès. Il finit par se décider à aller demander de l’aide et revient avec la solution. En réalité, aucun des RER en direction de Saint-Rémy-lès-Chevreuse ne s’arrêtait à Bagneux. Moralité : j’aurais mieux fait d’écouter ma gentille femme de ménage plutôt que la conductrice du bus RATP.
Il suffisait de prendre le premier RER pour Bourg-la-Reine et ensuite de récupérer un train direction Saint-Rémy. Résultat : le voyage de Paris à Orsay, 32 km, m’a pris deux fois plus de temps que le voyage de Lyon à Paris qui fait 470 km.
Si je me retrouvais dans une même situation aujourd’hui, évidemment j’aurais beaucoup plus d’outils à ma disposition puisque maintenant j’ai l’habitude d’utiliser des applications sur mon smartphone qui me donnent les horaires des transports, les trajets alternatifs. J’ai la possibilité de me localiser avec le GPS donc, à condition que j’ai de la batterie sur mon téléphone, ce genre de situation ne pourrait plus m’arriver aujourd’hui.
Néanmoins, j’ai toujours été impressionnée, les panneaux d’affichage sur les quais de RER, je me suis toujours demandée comment les personnes qui avaient des difficultés avec la langue française, des difficultés de lecture, de compréhension ou tout simplement de vision comme moi pouvaient s’en sortir avec un affichage aussi compliqué.
Une solution serait bien sûr de vocaliser ces informations qui sont seulement écrites. A l’arrivée d’un RER sur le quai, ce serait sans doute utile à tout le monde de savoir quelle est la destination de ce train et quelles sont les gares qu’il dessert. Mais ce n’est pas encore le cas malheureusement.
J’espère que cet épisode vous a plu et je vous promets de vous retrouver bientôt avec un nouveau sujet. Cette fois, nous parlerons du numérique et de l’accès au web.
Vous venez d’écouter Série noire pour une canne blanche, un podcast proposé par Okeenea. Vous pouvez retrouver tous les épisodes de la série sur le Webzine Okeenea, webzine.okeenea.com, et toutes les plateformes de podcast.
Si cet épisode vous a plu, n’hésitez pas à le partager largement avec votre entourage. Quant à moi, je vous retrouve très bientôt pour un nouvel épisode de mes aventures. Pensez à vous abonner pour être sûr de ne pas le rater. D’ici là, vous pouvez reprendre une activité normale. Portez-vous bien !
Frissonnez en écoutant le teaser du podcast ou en le lisant car il est sous-titré !
Tenez-vous prêts pour le premier épisode vendredi 8 avril…
Transcription écrite du teaser :
Musique d’intro angoissante
“Bienvenue dans Série noire pour une canne blanche. Série noire pour une canne blanche c’est le podcast qui vous fait découvrir les défis qu’affrontent quotidiennement les personnes qui comme moi, voient le monde avec leurs mains et leurs oreilles.
Moi c’est Lise Wagner et ma canne blanche, c’est ma compagne de tous les instants.
Cette série de podcast s’adresse à vous qui êtes curieux de savoir comment vivre sans voir, comment avec l’acuité visuelle d’une chauve-souris, on parvient à faire son chemin dans un monde semé d’embûches.
En vous invitant à me suivre dans mes aventures du quotidien, j’ai pour ambition de vous faire toucher du doigt les obstacles que rencontrent les personnes aveugles ou malvoyantes pour vivre la vie qu’elles ont choisie mais aussi comment vous, à votre niveau, vous pouvez les faire tomber ces obstacles.
Pour ma part, j’ai toujours été très malvoyante et ça ne s’est pas arrangé avec le temps. Aujourd’hui, je ne perçois que quelques différences de luminosité, les contrastes et quelques silhouettes mais ça ne m’empêche pas d’être une grande amoureuse de la vie.
Je vais vous emmener dans la rue, dans les transports, les magasins, les hôtels et bien d’autres endroits dont vous n’avez même pas idée.
Pour ne rien manquer, je vous invite à vous abonner dès maintenant à ma chaîne “Série noire pour une canne blanche” sur votre plateforme de podcast préférée. A bientôt pour partager mes aventures.”
Même musique angoissante à la fin.