Comment les chiens guides d’aveugles sont-ils éduqués ? [Interview]
Plus de sécurité, d’autonomie et de fluidité dans les déplacements, telles sont les raisons qui poussent certaines personnes aveugles ou malvoyantes à choisir la compagnie d’un chien guide. Mais comment amène-t-on ces chiens à devenir aussi performants ? Comment se passe leur éducation ? Comment est-elle financée ? Pour répondre à toutes ces questions, nous sommes allés à la rencontre de l’Association de Chiens Guides d’Aveugles de Lyon et du Centre-Est. Manon Blanchard, éducatrice de chiens guides depuis 8 ans, et Valentine Valentin, responsable Communication et Partenariats, nous ont tout raconté !
Tout le monde a déjà vu un chien guide d’aveugle, mais peu d’entre nous savent quel travail implique son éducation et son suivi. Pouvez-vous nous détailler les différentes étapes ?
Manon Blanchard – Environ 90% de nos chiots proviennent de l’élevage de la fédération, le CESECAH, qui sélectionne les futurs chiens guides. Il s’agit presque exclusivement de labradors ou labradors croisés golden retrievers. Nous avons aussi quelques chiens venant d’élevages extérieurs, essentiellement des caniches ou bergers allemands. Ils arrivent à l’école à l’âge de 9 semaines. Nous les gardons environ 5 jours en observation, à l’issue de quoi ils sont remis à leur famille d’accueil. Ils y restent pendant les deux années de leur éducation. C’est d’abord au sein de la famille d’accueil que le chien va apprendre la socialisation.
L’équipe éducative réalise un suivi plus ou moins régulier dans la famille et lui enseigne les exercices à mettre en pratique. Petit à petit, le chien passe de plus en plus de temps à l’école : une semaine par mois jusqu’à l’âge de 7 mois, 2 semaines par mois de 7 à 12 mois, après quoi il ne rentrera dans sa famille d’accueil que pendant les week-ends jusqu’à la fin de son éducation. Nous demandons aux familles d’accueil d’emmener le chien le plus souvent possible, dans tous types de lieux et toutes circonstances, pour qu’il s’habitue à des situations nouvelles et des personnes différentes.
A partir d’un an, le chien commence son éducation au guidage proprement dit. Il obtient généralement son certificat d’aptitude autour de l’âge de 22 mois. Il est ensuite remis à une personne déficiente visuelle qu’il va guider entre 8 et 10 ans dans ses déplacements quotidiens. L’âge de la retraite n’est pas systématique. Il dépend de l’état de santé du chien, de son enthousiasme au travail et de sa capacité à guider son maître en toute sécurité. Dans tous les cas, un chien guide ne travaille pas au-delà de l’âge de 12 ans. Selon les circonstances, le chien peut passer sa retraite auprès de son maître ou être accueilli par une famille volontaire. Tout le suivi éducatif du chien relève de la responsabilité de son éducateur.
Quelles sont les aptitudes qu’un futur chien guide doit acquérir au cours de sa formation et comment sont-elles vérifiées ?
MB : Le premier travail d’un chien guide consiste à éviter tous les obstacles à son maître. Il le guide sur le trottoir et s’arrête à tous les passages piétons. C’est donc son maître qui lui indique les changements de directions, droite ou gauche. Une autre aptitude du chien est aussi la recherche d’éléments spécifiques comme les lignes blanches d’un passage piéton, un escalier, une porte, un siège, un guichet, etc. J’ai connu un monsieur qui avait même appris à son chien à trouver les poubelles pour pouvoir y jeter ses déjections après les avoir ramassées. Un chien guide connaît une cinquantaine d’exercices.
Mais au-delà de ces aptitudes techniques, un chien guide doit aussi acquérir des aptitudes comportementales : rester calme en toutes circonstances, ne pas renifler ni chercher le contact des congénères pendant qu’il est au travail, ne pas voler de nourriture, etc. Malgré tout, il faut bien garder à l’esprit que le chien guide reste un être vivant. Le maintien des aptitudes acquises au cours de son éducation va aussi dépendre des aptitudes de son maître à les travailler au quotidien.
Pour obtenir son certificat d’aptitude, un chien guide doit réussir trois types d’épreuves : un déplacement en ville, un déplacement en campagne, c’est-à-dire en l’absence de trottoir, et une épreuve d’obéissance : marcher en laisse, ne pas bouger, etc. Son éducateur se met alors en situation de cécité, un bandeau sur les yeux. D’autres éducateurs observent le déplacement du binôme et remplissent une grille d’évaluation. Chaque critère est noté selon trois niveaux : bien, moyen ou insuffisant. Ils sont pondérés selon leur importance en termes de sécurité. Il est bien évident que le fait de voler de la nourriture est moins pénalisant qu’un obstacle non signalé ou qu’un passage piéton non respecté. Si l’évaluation n’est pas satisfaisante, le chien repassera sa certification plus tard, après avoir retravaillé les points qui posaient problème.
Pour qu’un chien guide soit toujours motivé au travail, il faut lui assurer un équilibre en lui offrant des récompenses en termes de jeu et de détente. Son maître doit lui ménager des moments où il va pouvoir retrouver ses instincts naturels contre lesquels on lui demande de lutter pendant le travail : renifler, interagir avec ses congénères, courir, etc.
Après avoir obtenu sa certification, le chien guide va pouvoir être remis à une personne déficiente visuelle. La remise dure deux semaines en présence de l’éducateur du chien : une semaine à l’école, un environnement bien connu du chien, puis une semaine au domicile de la personne pour travailler ses trajets quotidiens. L’éducateur revient deux mois après pour vérifier que tout se passe bien et éventuellement intégrer de nouveaux trajets. A six mois de la remise, l’éducateur fait une nouvelle visite, où il va suivre le binôme sur un trajet à l’insu du chien. C’est seulement à ce moment-là que le contrat de mise à disposition du chien va être signé entre le maître et l’association. Après quoi les visites de suivi auront lieu une fois par an. Des stages de perfectionnement peuvent être demandés par le maître ou proposés par l’association pour gérer une difficulté particulière ou rectifier de mauvaises habitudes prises au fil du temps. Le chien guide reste la propriété de l’association. L’équipe de professionnels est là pour trouver des solutions aux éventuels problèmes qui se posent. Car un chien guide reste avant tout un être vivant !
Quels sont les critères qui déterminent l’attribution d’un chien guide à une personne déficiente visuelle en particulier ?
MB : Pour commencer, une personne déficiente visuelle qui souhaite obtenir un chien guide doit déposer un dossier de demande à l’association. Ensuite, nous la recevons à l’école pour un stage de deux jours. L’objectif de ce stage est de rencontrer l’équipe et découvrir la vie avec un chien guide : le guidage, ce que le chien apporte, mais aussi les responsabilités du maître. Le demandeur doit réunir deux conditions essentielles : avoir envie d’avoir un chien et être autonome dans ses déplacements à la canne. Le chien guide n’est pas un GPS !
Lors du stage d’instruction de dossier, nous chronométrons la vitesse de marche du demandeur pour lui proposer un chien qui aura le même rythme. Nous réalisons ensuite une visite au domicile pour faire un trajet connu qui permettra de valider la compatibilité du binôme. Si ça fonctionne, nous laissons le chien avec son futur maître pour un week-end. C’est le moment de vérifier que leurs caractères sont aussi compatibles ! C’est après toutes ces étapes qu’on peut planifier la remise.
Les chiens guides sont remis gratuitement aux personnes déficientes visuelles. Mais ces chiens d’exception ont un coût important ! A combien peut-on l’estimer ? Comment est-il financé ?
VV : On estime à 25 000 € le coût moyen d’un chien guide d’aveugle de sa naissance à sa retraite. Ce coût inclut son éducation, les frais de structure, salaires et frais de déplacement de l’équipe éducative, les frais de santé et nourriture du chien, l’hébergement du demandeur lors des stages à l’école, les éventuelles séances de locomotion, etc.
Le financement principal de nos actions provient de la générosité des publics, à savoir des dons, legs, actions en notre faveur des clubs services, comme le Lions Club ou le Rotary, partenariats avec des entreprises, etc. Sans cela, il nous serait impossible de remettre gratuitement des chiens guides à des personnes déficientes visuelles, car les quelques subventions publiques que nous recevons sont très loin de couvrir nos frais. Chaque don est affecté à un chien en particulier. Nous bénéficions par ailleurs d’un soutien de la Fédération Française des Associations de Chiens guides d’aveugles pour les investissements et l’entretien du bâti.
Quelles sont les recommandations que nous pouvons faire à nos lecteurs quand ils rencontrent une équipe d’un maître avec son chien guide ?
MB : Avant tout, ne pas intervenir sans y avoir été invité ! Il faut bien comprendre que le chien guide est là pour assurer la sécurité de son maître. Le fait de le déconcentrer peut avoir des conséquences très dangereuses. Il ne faut donc pas lui parler, ni en aucun cas l’attirer par des gestes ou de la nourriture. Si l’équipe est à l’arrêt et que vous avez très envie de caresser le chien, vous devez d’abord demander l’autorisation à son maître. Ceci est valable pour n’importe quel chien d’ailleurs. Il peut aussi arriver que, malgré la présence de son chien, la personne déficiente visuelle ait besoin d’aide pour s’orienter ou franchir une zone complexe. Si vous la voyez perdue, adressez-lui simplement la parole pour proposer votre aide.
J’en profite pour rappeler que les élèves chiens guides sont admis gratuitement dans tous les transports et lieux publics de même que les chiens guides adultes. C’est essentiel dans leur formation qu’ils puissent accéder à tous types d’endroits, car ce sera leur travail plus tard !
Merci d’avoir accepté cette interview. Pour conclure, pouvez-vous nous présenter l’Association de Chiens Guides d’Aveugles de Lyon et du Centre-Est ?
Valentine Valentin – L’association de Chiens Guides d’Aveugles de Lyon et du Centre-Est a soufflé ses 33 bougies. C’est une association Loi 1901, reconnue d’intérêt général et d’utilité publique au travers de sa fédération, la FFAC. Elle a pour principale mission d’éduquer et de remettre gratuitement des chiens guides aux personnes déficientes visuelles. Mais ses activités vont aujourd’hui bien au-delà puisque nous avons pour objectif d’accompagner les personnes déficientes visuelles dans leur globalité pour les amener vers le plus d’autonomie possible. Ceci passe par des actions de sensibilisation et la prise en compte des problématiques associées au handicap visuel.
L’association se compose d’un pôle administratif et d’une équipe technique qui rassemble les éducateurs, moniteurs, animaliers et instructeurs en locomotion. Nous travaillons bien sûr avec d’autres métiers périphériques tels que vétérinaires, ostéopathes ou ergothérapeutes. Notre démarche consiste à apporter du professionnalisme dans tous les aspects de la vie du chien et de la personne déficiente visuelle.
Quant à l’équipe administrative, elle est essentiellement mobilisée sur la recherche et la collecte de financements. C’est en effet un enjeu très fort pour nous puisque la gratuité du chien guide pour son maître représente un principe fondateur de notre association. Les dons, legs et partenariats avec des entreprises ou clubs services sont nos principales sources de financement, ce qui implique de nombreuses campagnes de communication auprès du grand public.
Mis en ligne le 25 février 2019