Retour sur le colloque de la DMA #2 : l’accessibilité au service de la mobilité de tous
La Direction Ministérielle à l’Accessibilité (DMA) organise chaque année un grand colloque réunissant tous les acteurs de l’aménagement urbain pour faire le point sur les enjeux de mobilité et accessibilité aux personnes handicapées. Intitulée « Les mobilités en mouvement : une opportunité pour une cité inclusive », l’édition 2019 a fait la part belle aux apports de la loi d’orientation des mobilités (LOM) récemment adoptée. Si vous n’avez pas eu la chance d’y assister, nous vous invitons à suivre notre série d’articles résumant les présentations et les débats. Après notre premier volet au sujet des nouveautés de la LOM concernant les mobilités actives et les zones à faibles émissions, nous revenons aujourd’hui sur la mobilité des usagers les plus fragiles, notamment des seniors et sur la question des matériaux et équipements urbains inclusifs.
Mobilité des personnes âgées : constats et préconisations
Pour introduire la deuxième partie du colloque sur l’accessibilité au service de la mobilité de tous, c’est Marion Ailloud, chargée de mission accessibilité voirie et espace public au CEREMA, qui a présenté ses constats et préconisations sur la mobilité des personnes âgées. L’INSEE prévoit un doublement de la population âgée de plus de 75 ans d’ici 50 ans. Avec l’avancée en âge, le nombre de déplacements quotidiens diminue, de même que les distances parcourues. Mais la part des déplacements piétons augmente par rapport aux autres modes. Des piétons en danger puisque les personnes de plus de 65 ans représentent en France près de 50% de la mortalité piétonne. Permettre à tous de se déplacer dans les meilleures conditions possibles d’autonomie et de sécurité représente un enjeu capital. Il est par ailleurs essentiel de maintenir la vitalité des centres-villes par la présence de commerces, de services et d’une vie associative.
Les principales difficultés rencontrées par les personnes âgées sont les suivantes :
- L’entourage amical et familial est moins présent ;
- Les difficultés motrices, sensorielles et cognitives augmentent, voire se cumulent ;
- L’appréciation du danger et la perception de ses propres capacités se modifient ;
- De nombreuses peurs se renforcent : la peur de chuter, d’avoir un accident, d’être bousculé par un vélo ou une trottinette, la peur des incivilités ou des imprévus.
Face à ces difficultés, on observe trois types de réactions : l’adaptation, la résistance ou le renoncement. Afin que ces personnes puissent continuer à se déplacer et par conséquent à participer à la vie économique et sociale, il est nécessaire de concevoir des aménagements confortables et qualitatifs. Les espaces publics doivent être adaptés à leur fonction, comporter suffisamment d’assises pour se reposer, de toilettes publiques, de points d’eau, d’abris pour le froid et la pluie, mais aussi la chaleur en cas de canicule. Les éléments structurants de l’environnement urbain doivent être visuellement contrastés, les cheminements lisibles et libres de tout obstacle. Tout ce qui engendre un risque de glisser doit également être évité : revêtements glissants, pentes trop abruptes, feuilles mortes, neige, verglas, etc.
Du côté de la gestion de la circulation, de nombreuses mesures ont prouvé leur efficacité : apaisement de la vitesse pour faciliter les déplacements à pied, co-visibilité entre les conducteurs et les piétons, aménagement des traversées piétonnes. Concernant ce dernier point, il s’agit de réaliser des aménagements qui limitent les conflits entre les piétons et autres modes de déplacement, soigner la jonction entre le trottoir et la chaussée, limiter la longueur des traversées et créer des refuges sécurisés lorsque celles-ci sont trop longues.
Ecoquartiers, aménagements urbains et accessibilité
Pour poursuivre sur la thématique des aménagements et matériaux urbains inclusifs, Marion Torterotot, chargée d’études Architecture et Urbanisme au CEREMA, et Manon Souames, chargée de mission accessibilité et modes doux à la Métropole de Lille, ont présenté leur étude de la lisibilité urbaine sur le nouvel écoquartier des rives de la Haute Deûle. Cet écoquartier, associé au pôle Euratechnologies, s’organise autour de l’élément fédérateur de l’eau. Il respecte toutes les normes d’accessibilité. L’étude de lisibilité urbaine a été réalisée à partir de parcours commentés. Les volontaires ont été sélectionnés parmi les personnes vulnérables, révélatrices des gênes rencontrées dans l’espace urbain. Le panel comprenait deux personnes sourdes, quatre seniors et trois personnes aveugles dont une senior. Le parcours consistait à rejoindre le bâtiment Euratechnologies depuis une station de métro pour une durée théorique de 30 minutes.
Le premier constat est que les usagers construisent leur stratégie de déplacement en s’appuyant sur les éléments structurants de la ville : grandes avenues, rivières, canaux… La présence de stationnement entre l’espace réservé aux piétons et la voirie est perçue comme un élément de sécurité. Pour les seniors, la durée du déplacement peut doubler par rapport à un usager lambda. La fatigue peut être très importante et il manque des bancs pour se reposer. Quand il y en a, leur conception n’est pas toujours adaptée (absence d’accoudoirs pour aider à se relever). Les personnes sourdes ou malentendantes ont tendance à éviter les espaces très ouverts en raison de leurs problèmes d’équilibre. Elles sont à la recherche de murs ou barrières pour se rattraper en cas de chute. Les espaces vastes présentent également des difficultés pour les personnes aveugles en raison de l’absence de repères. Les difficultés se corsent lorsque ces espaces sont peu fréquentés, car elles ne peuvent se reposer sur l’aide des passants ni sur le bruit des pas qui les orientent habituellement.
En résumé, pour s’approprier un aménagement de ce type, les usagers les plus fragiles ont besoin de préparer, voire de répéter plusieurs fois leur parcours. Le jalonnement et la signalétique à l’attention des piétons s’avèrent insuffisants. Ces derniers doivent alors s’appuyer sur la signalisation routière qui n’est pas adaptée. Globalement, l’aménagement manque d’éléments de sécurité pour protéger des risques de chute et de repères structurants. Les résultats de cette expérimentation ont été rapportés aux concepteurs et aménageurs.
Les seniors et l’accès au transport en zone périurbaine
Concevoir des aménagements urbains confortables et qualitatifs pour favoriser la mobilité des seniors, c’est aussi ce que martèle Catherine Pillon du Commissariat Général à l’Egalité des Territoires (CGET). Il faut sortir de la représentation de la personne âgée assise sur un banc. Les seniors aspirent comme tout le monde à être acteurs de la société. Les métropoles et les territoires périurbains vieillissent davantage que les zones rurales. Les concertations menées auprès de personnes âgées montrent que la réduction des capacités à conduire provoque de fortes inquiétudes. L’utilisation des transports en commun n’est pas non plus chose facile. La restriction de l’offre dans les territoires périurbains, le coût, la conduite brusque de certains chauffeurs, la complexité des correspondances, les temps d’attente et la fatigue qui en découle… sont autant de freins pour ce mode de déplacement. Le covoiturage et les transports à la demande sont aussi sous-utilisés en raison d’une méconnaissance et parfois de mauvaises expériences. Dans tous les cas, plus les déplacements sont compliqués, plus la notion de motivation est importante.
Les limites de la normalisation des mobiliers et équipements urbains
Pour garantir la conformité des équipements et mobiliers urbains et le respect des besoins des usagers, les collectivités locales se fient à la normalisation. C’était l’objet de l’intervention d’Éric Lenoir, représentant les sociétés Seri et JC Decaux, accompagné de Yannick Poujet et André Racine de la ville de Besançon. Après avoir expliqué le fonctionnement d’une commission de normalisation, Eric Lenoir en a dénoncé les limites.
Dans une commission de normalisation, les fabricants sont surreprésentés et chacun fait prévaloir ses intérêts, ce qui ressemble peu ou prou à une réunion de copropriété. Le consensus, sur lequel est fondé la normalisation est en fait une position contre laquelle personne ne s’élève trop fort. Les représentants des collectivités locales sont peu présents alors que ce sont les plus concernés par l’application des normes. Le processus de normalisation manque de retours d’expérience, études précises et plateformes d’échange pour faire évoluer les textes. Refaire des textes simples après une confrontation à l’usage reste un défi.
Yannick Poujet, élu en charge de l’accessibilité à Besançon, rapporte les contraintes rencontrées dans une ville à la géographie complexe, classée au patrimoine de l’Unesco. Les normes sont nécessaires en tant que cadre de référence mais doivent souvent être adaptées. Par exemple, les dimensions des places de stationnement réservées aux PMR ne sont pas toujours applicables. Il vaut parfois mieux réserver des places non conformes, mais qui seront utiles à certaines personnes handicapées, plutôt que de ne pas en prévoir du tout. Autre exemple : les bandes de guidage font l’objet d’une norme mais une mauvaise installation peut en compromettre l’usage. Il est donc important de prendre en compte les retours des personnes qui les utilisent, ce qui a amené la ville à créer un groupe d’experts d’usages. André Racine, de la direction des espaces verts, présente les tables de pique-nique installées dans un square de la ville. Celles-ci ont été conçues en tenant compte de toutes les contraintes d’accessibilité, permettant ainsi aux quatre générations de promeneurs qui fréquentent l’endroit de profiter de ce mobilier.
En ce qui concerne la glissance des matériaux, Catherine Girard, directrice de la cohésion sociale et du CCAS de la Métropole d’Amiens, insiste sur l’importance du portage politique. Les chutes représentent la première cause d’accident des piétons, ce qui fait de la glissance des matériaux une question centrale. Cette question s’est justement posée lors de la mise en place du BHNS [bus à haut niveau de service N.D.L.R.] sur 66 km de voirie en continu. La glissance des revêtements peut ternir l’image d’un nouvel aménagement et même donner lieu à des condamnations comme à Poitiers en février 2019. Rectifier la glissance des matériaux a posteriori engendre des coûts très importants et des nuisances pour les riverains. Mais bien souvent, au moment de la conception, l’esthétique prime sur le confort et la sécurité. Les contraintes sont nombreuses lors du choix des revêtements :
- Détectabilité et repérabilité par les contrastes visuels, les différences d’adhérence et de texture,
- Maintien de la propreté,
- Conservation des propriétés d’adhérence en cas d’intempéries (pluie, neige) ;
- Préservation du patrimoine historique…
Il existe aujourd’hui des solutions techniques permettant de conserver l’aspect esthétique des pavés sans les nuisances. Mais la question de la glissance est rarement prise en compte dans les marchés publics. Il reste difficile de s’assurer de la performance des matériaux malgré les normes en vigueur. Les seuils de tolérance manquent de précision. Seuls les retours d’expérience et les études sur le terrain peuvent amener des éléments tangibles.
Retrouvez notre dossier intégral sur la loi LOM :
La loi d’Orientation des Mobilités : une réponse aux problématiques d’accessibilité
Retour sur le colloque de la DMA #1 : mobilités actives, LOM et ZFE
Retour sur le colloque de la DMA #3 : une offre de mobilités pour tous les usages
Retour sur le colloque de la DMA #4 : LOM et ouverture des données d’accessibilité
Publié le 22 janvier 2020