Quelles sont les bonnes pratiques pour accueillir les personnes déficientes visuelles dans un musée ? Interview de Marie Furic de l’AVH

Quelles sont les bonnes pratiques pour accueillir les personnes déficientes visuelles dans un musée ? Interview de Marie Furic de l’AVH
Musée de l'AVH

Lors des confinements, nous avons été privés, limités dans l’accès à la culture et nous en avons tous souffert. Après un tel apprentissage comment imaginer oublier les 1,7 million de personnes déficientes visuelles et leur souhait de participer à la vie culturelle ? Nous avons décidé de demander à Marie Furic, Responsable accessibilité physique et culturelle, de partager sa vision, ses conseils et les projets menés par l’AVH dans le cadre de la médiation culturelle. 

1- Aujourd’hui on compte près de 1,7 million de personnes déficientes visuelles en France, quels sont les freins et obstacles rencontrés par les malvoyants et aveugles pour accéder aux musées ?

Intérieur du musée d'OrsayLe principal obstacle, c’est l’accessibilité au cadre bâti. Même si beaucoup de musées ont une démarche d’accessibilité du fait des Ad’AP et de la loi de 2005, le chemin est encore long. Il manque encore trop souvent des éléments dans la chaîne de déplacement que ce soit sur la voirie, dans les transports et dans le musée en soi. La raison est simple, il y a trop souvent des lacunes dans leur démarche notamment sur la mise en place d’un système de concertation avec les diverses associations. Le résultat : ce qu’ils mettent en place ne correspond pas toujours à ce qu’il faudrait en termes de qualité d’usage. A notre niveau à l’AVH, nous travaillons beaucoup à la sensibilisation et sur cette phase de concertation. Les musées peuvent donc facilement faire appel à nous et profiter de notre expertise. 

Le deuxième frein, ce sont les objets de médiation qui sont souvent inexistants pour une partie des personnes en situation de handicap et notamment pour le handicap visuel.  

Pour moi ce sont les deux obstacles principaux à l’accessibilité aux musées : l’accès physique au cadre bâti et l’accessibilité des objets de médiation. 

2 – Quelles seraient selon vous les bonnes pratiques à mettre en œuvre pour accueillir les personnes déficientes visuelles ? 

Tout d’abord (au risque de me répéter) être dans une démarche de concertation avec les diverses associations pour pouvoir rendre son musée accessible au niveau physique.

Ensuite une bonne formation du personnel, une bonne sensibilisation du personnel à l’accueil des personnes en situation de handicap. Malheureusement aujourd’hui encore, le handicap fait peur et il arrive que les personnes en situation de handicap ne soient pas accueillies de manière positive dans les lieux culturels ou autres d’ailleurs. La formation et la sensibilisation ont pour objectif de pouvoir les aiguiller au mieux et d’apprendre à les considérer comme des visiteurs lambda. 

guidage smartphone musée
Guidage smartphone dans un musée

Ensuite, mener une veille sur les nouvelles technologies pouvant être mises en place comme par exemple des systèmes à l’intérieur des musées pour pouvoir se guider, pour  s’orienter en toute autonomie etc. L’idée est de poursuivre cet objectif d’accessibilité universelle : que tout un chacun puisse pouvoir se rendre n’importe où, n’importe quand, seul sans forcément être accompagné.

Les nouvelles technologies peuvent aussi ouvrir le champ des possibles au niveau des objets de médiation adaptés aux différents handicaps. Par exemple pour ma “spécialité”, le handicap visuel, mettre en place des choses avec du relief en utilisant l’impression 3D, des adaptations avec des audiodescriptions spécifiques des musées, des œuvres. 

Et mon 5ème conseil : mettre en place des ateliers qui permettront à des personnes en situation de handicap comme des personnes valides de se rencontrer, partager des moments pour découvrir l’art autour d’une sculpture, de jeux… De nombreuses actions du genre peuvent être mises en place afin d’effacer toute trace de stigmatisation d’un handicap. Pour aller plus loin dans la réflexion : il ne faut plus imaginer des actions pour les personnes en situation de handicap mais plutôt les penser « pour tous, pour tout le monde”. 

4 – Vous rencontrez sans doute de nombreux gestionnaires et conservateurs de musées, quels sont leurs freins quant à la mise en accessibilité de leur site ?

Personnes visitant le musée
Musée de l’AVH

Le premier qui me vient à l’esprit, c’est le côté financier. C’est un argument qui n’est plus entendable aujourd’hui, qui n’a jamais été entendable d’ailleurs. Mais c’est d’autant plus vrai qu’aujourd’hui quand on construit ou que l’on rénove un musée, l’accessibilité doit être prise en compte dès la conception. Cela permet de mettre en place des choses des fois très simples qui ne vont pas forcément faire grimper la facture de manière considérable. En effet, ce n’est pas une fois que le projet est achevé qu’il faut nous solliciter. Souvent, il est trop tard et en effet là, ça coûte de l’argent de refaire donc c’est important de prendre en considération les besoins en amont. On en revient toujours à cet objectif de concertation. 

Un deuxième frein que l’on nous oppose est la question de conservation du patrimoine ou de l’architecture. On l’a bien vu notamment avec l’école Louvre, il est tout à fait possible de faire des choses en respectant le cadre bâti, sans dénaturer l’architecture. Il est vrai que certaines BEV avec du plastique ou des couleurs ne sont pas forcément esthétiques et ne s’intègrent pas visuellement. Bien évidemment cela requiert souvent d’aller plus loin que la réglementation en cherchant des solutions méconnues (Ndr Cf Les solutions d’effet équivalent). 

Enfin le troisième frein serait l’incompréhension face à l’adaptation. Au sein de notre association nous adaptons en 3D des œuvres d’art pour les rendre accessibles à tous. Il n’est pas rare que les conservateurs se disent : « c’est une copie c’est quelque chose de bizarre », « pourquoi faire ça », « pourquoi faire ceci »… car ils ne voient pas, ni ne comprennent l’usage. Nous ne faisons pas des copies, nous faisons des objets pédagogiques, des objets de médiation. Le résultat peut être surprenant car on va agrandir un doigt, une oreille, modifier certains aspects pour que l’œuvre soit totalement accessible. Nous sommes dans une approche de l’art différente. Nous ne dénaturons pas l’œuvre car tous les éléments de l’œuvre à la base sont repris mais nous allons plus loin pour les faire ressortir. C’est ainsi qu’une personne qui n’a jamais vu pourra enfin se faire une représentation mentale d’un tableau, d’une sculpture etc.

De plus, sur 1,7 million de personnes déficientes visuelles, il y a une grosse proportion de personnes malvoyantes qui ont besoin, elles aussi, de cette adaptation car souvent on ne peut voir les peintures de près. Ces visiteurs ne voient donc pas du tout le tableau et si l’on n’a rien “à voir au musée” ce n’est pas intéressant d’où le grand intérêt des objets de médiation. Bénéfice pour les gestionnaires : cela ne pourra qu’augmenter le nombre de visiteurs potentiels. 

Cela dit, tout est une question de sensibilisation. Quand nous présentons nos tableaux nos interlocuteurs changent d’avis.

5 – C’est sûrement une évidence pour vous, mais pouvez-vous nous expliquer la différence entre un audioguide et une audiodescription ? Sont-ils tous les deux utiles aux mal ou non voyants ?

C’est une question qui revient souvent ! 

Un audioguide comme son nom l’indique, c’est un guide audio qui va vous permettre d’appréhender telle ou telle exposition. On va vous parler du nom de l’auteur, sa date de naissance, des anecdotes sur l’auteur, l’histoire d’un tableau etc. 

L’audiodescription, c’est tout à fait différent. Nous allons certes retrouver des éléments de l’audioguide comme la date de naissance de l’auteur, quel est son courant artistique, des anecdotes sur l’artiste…  La vocation principale de l’audiodescription est de fournir la description du tableau. Par exemple : ce tableau est une nature morte, techniquement, c’est une mise sur toile. Vous allez trouver en bas à droite une pomme, au-dessus une grappe de raisins qui est surmontée de tel fruit, etc. L’objectif est d’immerger totalement le visiteur dans l’univers du tableau. Certaines audiodescriptions proposent même un fond sonore.

Pour vous faire une idée plus précise, fermez les yeux et demandez que l’on vous décrive un élément qui est devant vous, on va vous décrire tous les détails voire les émotions qui s’en dégagent. Par exemple : cette œuvre montre un homme et une femme qui sont côte à côte. Pour chacun d’eux, vous aurez une description de la couleur des cheveux, la forme des yeux, de l’action : le regard qui va être tourné vers l’horizon mais aussi de l’émotion dégagée par ce regard. Vous pourrez ainsi en déduire que ce sont deux personnes amoureuses… 

Voilà la différence entre un audioguide et une audiodescription. Attention cependant, ces deux outils sont utiles dans le sens où ils se complètent et n’ont pas le même usage.

 

Musée AVH6 – Pour finir, nous savons que l’AVH est très investie dans l’accès aux musées. Pouvez-vous nous partager toutes les actions mises en œuvre ?

Nous sommes très investis à différents niveaux de l’accessibilité des musées : au niveau de de la mise en accessibilité (conseil) mais aussi au niveau des objets de médiation. Nous avons réalisé diverses œuvres d’art en 3D pour les musées. Nous avons aussi un partenariat avec Paris Musée. C’est dans ce cadre que nous sommes intervenus lors d’une exposition “Musée de la Vie Romantique”. Plus d’une vingtaine bas-relief en 3D ont été réalisés en fraisage numérique. A ce jour, nous sommes présents également dans une trentaine de musées en France avec ces mêmes reliefs en 3D.  

7 – Le mot de la fin ? Un projet à partager ? Un souhait pour l’avenir ?

J’aimerais partager avec vous un projet que nous allons lancer l’année prochaine : “le tactile autour d’un projet”. Une dizaine de bas-reliefs en 3D de la collection de l’AVH vont voyager dans nos divers comités en France. L’objectif est simple : faire découvrir cet échantillon d’objets de médiation au plus grand nombre.  

Enfin, mon souhait pour l’avenir est qu’une société inclusive voie le jour. C’est peut-être utopique mais j’espère réellement le voir s’exaucer. J’aimerais qu’un jour toute personne  puisse se rendre dans n’importe quel endroit pour pouvoir profiter comme tout un chacun de l’art, de la culture. C’est d’autant plus important que c’est un pilier de notre société. L’Art réunit les gens, les populations. En bref, que l’accessibilité ne soit plus une question pour accéder à la culture.

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Culture pour tous : comment rendre les musées accessibles aux personnes en situation de handicap ?

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Christine

De nature plutôt dynamique et toujours à l’affût d'échanges, je me charge aujourd’hui principalement de toutes les interviews. J’adore rencontrer ces acteurs inspirants qui font bouger les lignes et qui ouvrent le champ des possibles.