« Partir d’images adaptées aux personnes avec autisme pour développer une signalétique adaptée à tous »
Comment rendre la signalétique compréhensible par tous ? C’est une exigence de la réglementation accessibilité mais les moyens pour y parvenir restent méconnus. Anne Perriaux, designer graphique installée à Clermont-Ferrand, en a fait son cheval de bataille. Elle nous raconte.
Bonjour Anne Perriaux, pouvez-vous nous présenter votre parcours et les raisons qui vous ont amenée à vous intéresser à la signalétique adaptée aux personnes autistes ?
Bonjour. J’ai suivi une formation de design graphique. Dans le cadre de mon master, j’ai réalisé un mémoire qui avait pour sujet : « Comment créer des images adaptées aux spécificités cognitives des personnes avec autisme ? »
J’ai basé mes travaux sur mon expérience de terrain auprès d’enfants de 6 à 20 ans avec autisme ou déficience intellectuelle. Dans l’institut médico-éducatif (IME) qui les accueillait, j’ai travaillé à la création d’outils graphiques adaptés à leur établissement.
En 2013, j’ai été embauchée par une start-up à Paris qui développe des applications adaptées aux personnes ayant des troubles cognitifs : autisme, maladie d’Alzheimer… J’ai alors participé à la chaine de production des applications en créant des interfaces numériques adaptées.
Cette expérience a duré deux ans et demi, après quoi j’ai décidé de voler de mes propres ailes. Je bénéficie aujourd’hui de l’accompagnement d’un incubateur spécialisé dans l’économie sociale et solidaire pour développer mon projet d’entreprise « 6e sens ».
Pouvez-vous nous expliquer dans les grandes lignes les besoins spécifiques des personnes avec autisme ?
L’autisme est avant tout un handicap social. Il se caractérise généralement par des difficultés de communication et d’interaction, de repérage dans le temps et l’espace. Mais je dirais que l’autisme peut prendre autant de formes qu’il y a de personnes concernées par ce trouble. Le principal enjeu pour les personnes accueillis en institut est de travailler l’autonomie pour les actes essentiels de la vie quotidienne. La maîtrise de l’hygiène par exemple est un élément clé pour leur intégration sociale.
Tout l’enjeu est de créer des outils de communication communs à tous. L’image a pour intérêt de constituer un référent fixe. Et surtout, le message ne risque pas d’être parasité par la communication non verbale, le bruit ambiant, l’émotion de l’interlocuteur, etc. Passer par l’image permet également de ralentir le rythme de la communication et réduire le flux d’informations.
En quoi la signalétique que vous concevez répond-elle à ces besoins ?
Lors de ma première expérience à l’IME, j’ai co-conçu avec l’équipe éducative une signalétique un peu particulière dédiée à l’orientation mais pas seulement. Il fallait aussi illustrer les activités des salles, rendre limpides les schémas d’actions pour se laver les mains, se doucher, se brosser les dents, etc.
J’ai également réalisé un règlement intérieur en images. L’objectif était alors de montrer les interdictions tout en proposant des alternatives positives pour gérer le stress et contourner les problèmes de comportement. Par exemple : « Tu n’as pas le droit de taper. Mais tu peux demander de l’aide. »
Créer des images qui parlent à tout le monde représente un sacré défi. La capacité d’abstraction est généralement faible chez les enfants avec autisme. Le travail avec un orthophoniste permet de la développer. Mais quand les enfants n’ont pas bénéficié de cet apprentissage petits, ou pour certaines personnes qui ne parviennent pas à acquérir cette capacité, il faut avoir recours à des objets ou des images très concrètes comme des photos.
En 2015, nous avons mené avec l’IME une expérimentation pour évaluer l’impact des images adaptées que j’ai créées. Nous avons constaté un réel changement dès deux semaines d’utilisation pour les enfants ayant une déficience intellectuelle. Pour ceux ayant des troubles du spectre autistique, le temps variait en fonction de leurs capacités mais l’évolution était bien visible.
Pour cette expérimentation, nous nous sommes essentiellement basés sur des observations et témoignages. J’aimerais à l’avenir mettre en place une démarche scientifique pour pouvoir définir des règles communes applicables à cette signalétique. Nous sommes en train de construire un partenariat avec le Centre Ressources Autisme de Clermont-Ferrand dans cet objectif. En attendant, je propose systématiquement à mes clients un comparatif avant-après à partir de vidéos.
En dehors de cet IME, avez-vous pu déployer votre signalétique dans d’autres lieux spécialisés ou grand public ?
Mon objectif est en effet de partir d’images adaptées aux personnes avec autisme pour développer une signalétique commune à tous. Les personnes qui rencontrent des difficultés cognitives sont bien plus nombreuses qu’on ne le croit généralement. Ce sont toutes les personnes avec un trouble du spectre autistique ou une déficience intellectuelle bien sûr, mais aussi les personnes souffrant de la maladie d’Alzheimer ou d’autres troubles de la mémoire, de l’attention. Plus largement, adapter une signalétique pour des personnes avec autisme apporte du confort pour tous : enfants, personnes âgées, touristes étrangers, etc.
Pour le moment, je travaille essentiellement avec des établissements spécialisés : IME, services d’accueil de jour pour adultes. Je crée des solutions sur mesure en fonction de leurs problématiques éducatives. J’ai par exemple conçu une signalétique pour un établissement qui changeait de locaux. C’est une situation particulièrement génératrice de stress pour des personnes qui rencontrent des difficultés de repérage et donc un gros défi pour les éducateurs. Des outils de communication adaptés permettent une appropriation plus rapide des lieux et des nouvelles règles de vie. Le personnel a donc plus de temps à consacrer aux situations difficiles et les outils graphiques favorisent l’harmonisation des pratiques.
Ceci encourage l’autonomie des personnes avec autisme ou déficience intellectuelle et donc le vivre ensemble.
Mon offre rencontre aussi de plus en plus de succès auprès des particuliers. Les familles perçoivent les images adaptées comme un bon moyen de travailler sur les actions du quotidien dans la maison.
Enfin, je suis convaincue que la communication visualisée est parfaitement adaptée aux établissements qui accueillent un public très hétérogène et notamment beaucoup d’étrangers comme les gares, les aéroports, les musées, les hôpitaux, etc.
L’utilisation d’outils communs à tous permet aussi de lutter contre la stigmatisation. Ceci encourage l’autonomie des personnes avec autisme ou déficience intellectuelle et donc le vivre ensemble. Et le regard du grand public sur ce handicap change. Partir d’une communication adaptée favorise donc finalement l’inclusion de tous !
Mis en ligne le 26 juillet 2017