Les Eurockéennes : un festival citoyen et engagé ! 1ère partie
En parcourant le site des Eurockéennes de Belfort je suis tombée par hasard sur la page décrivant leurs engagements notamment en termes d’accessibilité. Tentant le tout pour le tout, j’ai demandé une interview… que j’ai eue ! C’est donc avec grand plaisir que je partage nos échanges avec Jean Paul-Roland, directeur des Eurockéennes. Un homme passionné et engagé.
Bonjour, monsieur Roland, merci d’avoir accepté cette interview. Pour commencer, pouvez-vous nous dire quelques mots sur vous et sur le festival ?
Bonjour à vous ! Je suis Jean-Paul Roland, je suis directeur des Eurockéennes de Belfort, un festival organisé par une association à but non lucratif. Nous fêterons cette année notre 29ème édition, qui aura lieu du 6 au 9 juillet. Les Eurockéennes 2017, ce sont plus de 70 artistes qui viendront fouler notre belle Presqu’île durant 4 jours !
« La culture pour tous » est l’un de vos engagements, notamment à travers l’accueil de la diversité. Pouvez-vous détailler ce que vous entendez à travers le terme « diversité » ?
Le thème de la diversité renvoie aux origines du festival. Les Eurockéennes ont été créées par un président de conseil départemental désireux de promouvoir la région peu attractive sur le plan touristique d’une part, mais aussi d’assurer la transmission de valeurs citoyennes auprès des jeunes.
Dans un premier temps, il y avait tout à la fois une notion d’accueil des personnes extérieures au territoire et le brassage des générations grâce à la musique. Ensuite, cette notion de diversité s’est étendue au niveau culturel, musical. Les profils des organisateurs ont beaucoup évolué (permanents, séniors, juniors, intégration des associations…), de même que les typologies de publics. Nous avons ainsi accueilli de plus en plus de gens peu habitués à la musique pop-rock et aux festivals. Nous avons communiqué auprès des plus anciens, des habitants de certains quartiers, etc. pour que ce festival soit un grand melting-pot. Le plus beau dans l’histoire, c’est de voir que ce que beaucoup prennent pour une utopie est en fait une réalité : cette diversité n’engendre absolument aucun trouble !
Pour résumer, notre ADN, c’est la diversité musicale et sociale.
Vous avez même signé une charte handicap. Pourquoi un tel engagement ?
Tout simplement pour aller encore plus loin sur le thème de la diversité. En effet, nous nous sommes vite aperçus que le festival est un lieu de tolérance et de tous les possibles : un bel outil pour changer le regard des gens.
L’enjeu était de savoir si ce sentiment de tolérance pouvait durer au-delà des trois jours. C’est dans cette optique que les engagements citoyens se sont ancrés dans le festival : pour qu’ils soient « contagieux ». J’en suis l’exemple parfait sur une autre thématique. En effet, il y a pas mal de temps maintenant, j’ai appris à trier les déchets sur les festivals. Et j’ai gardé cette bonne habitude chez moi par la suite.
Plus concrètement, nous nous sommes intéressés de plus près aux publics empêchés et notamment les personnes en situation de handicap. Nous avons donc rédigé une charte handicap. L’idée a tout de suite suscité un certain engouement, notamment au niveau de l’état. A l’époque, madame Carlotti, ministre en charge de l’accessibilité, a reconnu notre engagement et l’a même porté au niveau national !
Je suis moi-même devenu un ambassadeur du concept grâce à ma position de co-président d’une fédération internationale de festivals. J’ai ainsi pu porter le message à d’autres événements comme les vieilles charrues, Rock en seine, etc. Je partage régulièrement notre expérience avec d’autres grands festivals pour qu’ils fassent de même dans leur région, que ce soit au niveau de la démarche, de l’acquisition ou du prêt de matériel.
En interne, ce projet engage chaque membre de l’équipe, pas uniquement la communication ou la direction. Tout le monde se sent concerné. Aujourd’hui, quand nous parlons d’accessibilité, il y a de nombreuses personnes autour de la table !
Quels équipements et services avez-vous mis en place ?
Plus généralement, la mise en place de ce projet d’accessibilité s’est déroulée en trois étapes :
- Etape 1 : rendre le site accessible (la Presqu’ile). Ce qui n’est pas une mince affaire, notamment quand il pleut. Au début du projet, nous nous sommes principalement appuyés sur notre bon sens. En effet, les services de l’état sur l’accessibilité ne pouvaient nous donner que des recommandations car nous sommes un événement particulier et non pas un ERP.
- Etape 2 : Dépasser les frontières physiques du festival. Par exemple : Comment une personne en situation de handicap vivant à Toulouse peut-elle préparer son voyage et profiter pleinement du festival ?
Pour notre équipe, deux enjeux majeurs : l’accessibilité de notre site web et la formation du personnel d’accueil.
Mais la mise en accessibilité du festival passe aussi par d’autres acteurs. Aussi nous avons mis autour de la table les transporteurs nationaux et locaux, les hôteliers, les restaurateurs…, pour que l’ensemble de la chaîne de déplacement soit respectée.
Ensuite seulement, nous avons commencé à travailler sur des équipements : les plateformes surélevées sur chaque scène, les boucles à induction magnétiques, les cheminements adaptés à tous, le prêt de fauteuils, des sanitaires adaptés, des accueils et accompagnements spécialisés comme raconter le concert à des personnes malvoyantes, etc.
- Etape 3 : Elle existe depuis deux ans, c’est le ALL ACCESS. A force d’être performant sur la partie équipement et accompagnement, avec des espaces particuliers, des transports particuliers, des accueils particuliers…, nous avons eu l’impression d’aller à l’encontre de ce que l’on voulait initialement : changer le regard des gens.
Notre première action a été de remplacer les transports particuliers par des joëlettes [sorte de chaise à porteurs montée sur une roue NDLR] pour amener les personnes handicapées moteur au cœur du public, à hauteur d’homme.
Nous avons ensuite eu l’idée d’un nouvel espace solidaire entre tous les publics. Nous l’avons nommé ALL ACCESS pour l’ouvrir au plus grand nombre. Aujourd’hui, on observe qu’un grand nombre de personnes sont intéressées par la thématique, souvent parce qu’un de leurs proches est concerné.
Le concept de cet espace est simple : ce sont les personnes en situation de handicap qui invitent les valides à venir les rencontrer. On y retrouve les infrastructures habituelles comme un bar, mais qui dans notre cas est tenu par des sourds et malentendants. Les festivaliers peuvent ainsi acquérir quelques notions de langue des signes : comment commander sa bière par exemple ! Cet espace comprend aussi un « shop expérimental » où l’on peut découvrir tout ce qui se fait de nouveau en matière d’accessibilité et d’intégration des personnes handicapées.
Lors de la dernière session, les festivaliers ont pu découvrir des émissions de radio où les animateurs sont autistes, des groupes de musique composés de personnes trisomiques, des professeurs de danse qui apprennent aux personnes en fauteuil roulant à esquisser quelques pas…
Au programme cette année :
- My Human Kit, un fablab dédié au handicap. C’est une association qui utilise la fabrication numérique pour résoudre des problématiques liées au handicap en proposant des solutions alternatives à moindre coût grâce aux imprimantes 3D. Ils ont par exemple aidé une personne à créer sa prothèse de main pour jouer de la batterie !
- Gilles Marivier, alias Weydo, qui réalise des projets sonores à partir d’objets connectés et de capteurs sensibles aux mouvements du corps. Il a développé avec Pauline Couta, designeuse, un système musical destiné aux structures de soin. Ils présenteront notamment le spectacle DARK in motion lors d’ateliers.
- Laëty Tual et le chansigne : elle interprète des morceaux en Langue des Signes sur les côtés de scène. Pour l’occasion, elle a construit un set inédit de différents chansignes, autour de chansons françaises, des musiques urbaines, ainsi que des chansons qui seront tirées au sort par le public.
ALL ACCESS est finalement une belle vitrine pour l’innovation technologique et sociale. Tout cela a été possible grâce à notre mécène MALAKOFF MEDERIC qui accepte de nous suivre cette fois encore.
Mis en ligne le 4 juillet 2017